Imposition du silence à Milosevic :
Le simulacre de procès de La Haye tourne à la farce complète
Source : Alerte OTAN n°15
Roland Marounek
10 octobre 2004

"Non, non", s'écria la Reine de Cœur. "La condamnation d'abord, le jugement ensuite"

La presse a accueilli dans une remarquable discrétion un événement d'une portée pourtant considérable : Le TPIY privait Milosevic du droit de se défendre en personne, et effectuait ainsi un retour saisissant aux pratiques des Tribunaux de l'Inquisition. Non seulement, le dit 'Tribunal' bafoue ses propres règles, mais même ses propres arguments contre une telle forfaiture, ainsi que le montre un rapport du British Helsinki Human Rights Group [1] .

Un sérieux problème se pose avec ce 'procès' : les charges principales accumulées contre Milosevic n'arrivent pas à être étayées matériellement, malgré des moyens colossaux mis à disposition de l'accusation. Un des thuriféraires du TPIY a exprimé parfaitement le désarroi actuel de ceux qui avaient salué avec enthousiasme l'inculpation de Milosevic comme une 'avancée majeure pour la justice et l'humanité' : " Ce serait mieux si Milosevic mourait en cellule, parce que si le procès suivait son cours il pourrait bien n'être condamné que pour des charges mineures " [2] .

En se défendant lui-même, en menant en personne ses contre-interrogatoires, Milosevic a réussi à dénoncer l'inconsistance des charges et la nature politique du procès. Puisqu'il ne consent pas à mourir, la seule solution pour arriver coûte que coûte à obtenir un verdict de culpabilité est de le faire taire.

La faillite du 'procès du siècle'

Les 295 témoins qui se sont succédés pendant ces deux années de procédure consacrée à l'accusation « ne se sont pas montrés très convaincants», pour dire le moins. Plus inquiétant, certains se sont avérés être tout simplement des imposteurs, produisant des faux; Rade Markovic, ancien chef des services secrets serbes, a révélé avoir été soumis à la torture et aux pressions pour déposer contre son ex-patron; l'épisode burlesque du témoignage du général Clark a mis clairement en lumière la servilité du dit 'Tribunal' vis-à-vis de ses employeurs réels [3].

Malgré ses 400 enquêteurs, l'accusation a été à ce point à court d'éléments concrets qu'elle a fait produire des témoins qui ont soutenu l'un avoir été sauvé par Dieu d'un tir de mitrailleuse lourde, exhibant pour preuve sa chemise criblée de trous de balles, un autre encore jurer mordicus avoir vu de ses yeux les militaires serbes tuer des victimes de Racak en arrachant leur cœur avec un couteau - malgré que rien de cela n'apparaisse à l'autopsie. Milosevic a été suffisamment habile pour démasquer complètement un Ratomir Tanic, présenté comme un insider (appartenant au cercle intime du président) , et qui s'est emmêlé lamentablement dans ses mensonges. « Je savais que Ratomir était assez cinglé pour demander à témoigner et pour le faire, mais je n'avais pas pressenti que ces gens auraient été assez stupides pour le prendre comme témoin. », a déclaré l'ancien président du parti dont se prétendait membre Tanic .

On comprend mieux qu'un silence gêné a rapidement couvert les rapports de Tribunal dans les médias. Et que ce qu'on avait présenté en fanfare comme devant être le procès du siècle, où l'on devait juger 'le Boucher des Balkans' des pires crimes contre l'Humanité, passe complètement sous silence est déjà un aveu de faillite en soi.

Devant toute juridiction réelle, face à l'absence évidente de tout élément concret de preuve, l'accusé devrait être acquitté, sans doute avec excuses et dédommagements. Mais il devient de plus en plus évident qu'on n'a pas affaire à un tribunal réel. Il est de plus en plus apparent que le Tribunal Pénal de La Haye a autant de valeur que celui mis sur pied par les Conquistadors, qui avait condamné à mort le Grand Inca, reconnu coupable entre autres charges 'd'avoir exterminé cruellement ses ennemis'. L'Histoire n'a pas retenu quelle a été sa défense. Elle a par contre très bien retenu où ranger ce genre de parodie.

Avec la décision de réduire l'accusé au silence, le 'Tribunal' a définitivement perdu toute prétention à une quelconque légitimité. Notons que le prétexte avancé – éviter que le procès ne soit bloqué – a été comiquement aussitôt pris en défaut : suite à la décision, les témoins de la défense refusent les uns après les autres de venir jouer leur rôle dans cette comédie, provoquant le blocage de la procédure, et les avocats imposés font appel contre la décision les ayant nommés .

Rendons néanmoins justice au 'Tribunal' : Dès 1999, en refusant d'ouvrir une enquête contre les crimes de l'OTAN, le 'Tribunal' avait déjà démontré qu'il n'était qu'un instrument politique, qui n'avait qu'un rapport lointain avec la justice. Dommage, parce que là, il aurait eu droit à de véritables preuves de crimes de guerre.

Juges et criminels…

Irak, 2 octobre 2004 : L'armée US annonce triomphalement avoir repris la vile de Samara au prix d'une centaine de morts irakiens. Au centre-ville, des snipers américains postés sur les toits des immeubles tiraient sur tous ceux qui s'aventuraient dans les rues. 28 septembre 2004 : Bombardement du bidonville de Sadr-City; des dizaines de victimes, dont 15 femmes et 9 enfants. Se rappelle-t-on que l'armée US a massacré à Falloujah plus de 600 personnes en avril dernier, pour venger la mort de 4 mercenaires ?

Combien de 'Racak' pourrait-on produire en Irak chaque jour ? Depuis le début de l'invasion, les estimations les plus basses évoquent au moins 12.000 civils irakiens, sans doute un chiffre grossièrement sous-estimé – comme disait Colin Powell quand on l'interrogeait sur le nombre d'Irakiens morts durant la première guerre du Golfe "ce n'est pas un chiffre qui m'intéresse terriblement". De leur propre aveu les GI's dans leur progression vers Bagdad ont tiré indistinctement sur tout ce qui bougeait, comme dans un jeu vidéo.

Milosevic est-il blanc comme neige, l'armée yougoslave n'a-t-elle pas commis des crimes ? Il n'existe pas, à part dans les contes pour enfants, ou les séries US, de conflit avec des anges d'un côté et des démons de l'autre. Mais on peut se demander quelles auraient été la réaction et les mesures prises par n'importe quel dirigeant au monde face à d'authentiques terroristes, dont on connaît maintenant les liens avec la CIA [4] . On en a une saisissante idée avec les exactions et les massacres commis par les libérateurs en Irak . La force multinationale écrase la résistance de manière aveugle en pilonnant des quartiers d'habitations. Le gouvernement britannique, attaqué en justice par les familles d'Irakiens assassinés par les soldats britanniques , vient d'ailleurs de déclarer que la Convention européenne sur les droits de l'Homme "n'a jamais été prévue pour s'appliquer dans les circonstances du chaos irakien ."

Que ce soit ceux-là qui se déclarent chargés de juger des crimes de leurs victimes ressemble à une plaisanterie de mauvais goût .

Quel que soit le jugement que nous portons sur Milosevic, nous devons prendre conscience que le problème n'est pas du tout les crimes réels ou supposés de Milosevic, exactement de la même manière qu'en d'autres temps la question n'était pas celles des crimes éventuels de Benes [5] , ou ceux du Grand Inca.

L'enjeu réel du procès Milosevic

Selon la vision de l'histoire du monde dont les médias nous imprègnent jour après jour, la cause fondamentale des problèmes de la planète, c'est la méchanceté de quelques-uns, que les Bons (les USA et l'Occident) doivent perpétuellement combattre. Les Méchants s'obstinent inexplicablement à "défier la Communauté Internationale". Et comme dans les meilleurs films de super héros, celle-ci est finalement obligée d'utiliser ses super - pouvoirs (bombes à fragmentation, uranium appauvri…) pour mettre en échec les plans machiavéliques du Méchant, pour le triomphe du Bien, de la Liberté et de la Démocratie. «   La guerre contre les Serbes n'est plus un simple conflit militaire. C'est une bataille entre le Bien et le Mal, entre la Civilisation et la Barbarie   », déclarait Tony Blair pendant l'agression de 1999.

Le réservoir de Méchants prêts à défier le Bon tout-puissant semble aussi inépuisable que dans les comic-strips. Aussitôt Saddam-Rastapopulos attrapé, voilà Sadr-Rastapopulos qui sort de sa boîte. De raids aériens en bombardements, d'invasions en occupations, l'humanité est à coup sûr en train de progresser vers un monde merveilleux, même si c'est de plus en plus difficile à remarquer.

L'objet de cette fable a pour fonction réelle de masquer les intérêts économiques des agressions, autrement plus terre-à-terre.

Et dans cette optique, le procès de Milosevic prend une importance tout à fait singulière .  : l'effondrement des charges contre Milosevic, la reconnaissance de leur inconsistance, mettrait en pleine lumière ce qui se cachait derrière, ce que les fervents croyant en l'histoire merveilleuse de l'Occident humanitaire refusent obstinément de voir, et qui se trouve pourtant sous leurs yeux .  : de la Bosnie, du Kosovo, à l'Irak, on a d'un côté l'établissement durable de bases militaires US, et de l'autre l'imposition du libre-échange et de l'économie de marché. Et cela en suivant singulièrement les routes menant aux principales ressources énergétiques mondiales. Ainsi le résultat concret du Kosovo et des guerres de Yougoslavie précédentes, c'est d'une part un chapelet de bases militaires US en Bosnie, Croatie, Albanie, jusqu'à l'énorme base de Camp Bondsteel , et d'autre part le pillage colonial appelé 'libéralisation du marché'.

Ceux qui en doutent encore devraient prendre connaissance des déclarations du Général Clark un an après l'agression : « La bonne chose émergeant du Kosovo est que le monde devrait être maintenant prévenu. L'OTAN peut et fera tout ce qui est nécessaire pour défendre les intérêts occidentaux vitaux » Il faisait écho au président Clinton, qui laissait échapper en mars 1999 : « Si nous voulons des relations économiques solides, nous permettant de vendre dans le monde entier, il faut que l'Europe soit la clé... C'est de cela qu'il s'agit avec toute cette chose du Kosovo ». Comme on voit, les motifs humanitaires agités en leurre sont décidément bien loin…

Et il n'y a sur ce plan strictement aucune différence entre les 'néos-cons' arrogants de l'administration Bush, et les 'colombes' démocrates. L'immense vague populaire qui s'était élevée contre la guerre l'année passée doit à présent rester canalisée contre Bush et son administration, pour être rendue inoffensive : ce sont eux les responsables des regrettables erreurs de la guerre contre l'Irak, mais tout pourrait rentrer dans l'ordre si Bush était remplacé par Kerry, qui a l'air aussi brave que Clinton, sans doute moyennant un meilleur partage du butin. C'est pourquoi il est nécessaire que l'opinion occidentale demeure convaincue que cette agression-là était juste, et, a contrario, c'est pourquoi il est nécessaire pour nous de se mobiliser autour du procès de Milosevic. Non pour l'issue qui est sans doute déjà décidée, mais parce qu'à travers lui, on vise la cause des agressions occidentales, et pas un épouvantail Bush de service.

[1] http://www.csotan.org/textes/texte.php?type=TPI&art_id=170
[2] Dr James Gow, cité par J. Laughland : http://www.slobodan-milosevic.org/news/spectator071004.htm : Le Dr Gow est un « expert en crimes de guerre », premier témoin à charge cité au TPIY, auteur d'ouvrages sur le conflit yougoslave, dont « Le Projet serbe, une stratégie de crimes de guerre ».
[3] voir le dossier consacré au TPIY sur le site du CSO : http://www.csotan.org/textes/textes.php?type=TPI
[4] Voir par exemple l'article du Sunday Times : 'La CIA reconnaît avoir aidé l'UCK'", 12/03/2000, http://www.anti-imperialism.net/lai/texte.php?langue=1§ion=BBBG&id=6736
[5] Edvard Benes était le président de la république tchécoslovaque de 19345 à 1938. Le gouvernement tchèque de l'époque fut accusé par les nazis de graves discriminations et exactions contre la minorité germanophone des Sudètes, conduisant aux Accords de Munich et au dépeçage de la Tchécoslovaquie. Toute ressemblance avec Rambouillet et l'intervention humanitaire au Kosovo…..

Autres textes de Roland Marounek sur le site du CSO