Depuis le 1er novembre, date de l’écroulement de l’auvent de la gare de Novi Sad, la Serbie est secouée par une vague inédite de manifestations, organisées pour la plupart par des étudiants soutenus par une partie du corps académiques et par les partis d’opposition, libérale comme nationaliste. Selon eux, cet accident – qui provoqua la mort de 16 personnes – est dû à la corruption qui aurait émaillé de récents travaux effectués dans cette gare de la seconde ville de Serbie.
Aussi réclament-ils la publication de tous les documents concernant la rénovation de la gare, ainsi que : - l’annulation des charges à l’encontre des étudiants interpellés au cours de plus de cinq mois de manifestations, - l’arrestation de contre-manifestants ayant agressé des étudiants, - l’augmentation des fonds alloués aux universités et - une enquête sur une « arme sonique » qui aurait créé un mouvement de panique lors de la plus importante de ces manifestations, le 15 mars à Belgrade.
Le président Aleksandar Vučić, au pouvoir depuis douze ans, a répondu à la plupart de ces demandes et a – enfin, diront certains – entamé une campagne contre la corruption : des dizaines de responsables économiques et politiques, la plupart membres du parti au pouvoir, le Parti progressiste serbe (SNS), ont été arrêtés pour des malversations financières, le premier ministre et le maire de Novi Sad ont démissionné, les contrats relatifs aux travaux de la gare ont été publiés, etc.
Ceci n’a guère refroidi les ardeurs de l’opposition, qui exige un « gouvernement technique » et a manifesté son mécontentement en lançant des grenades lacrymogènes en plein parlement, blessant trois députés, dont une femme enceinte. De son côté, Vučić accuse les contestataires de fomenter une « révolution de couleur » et d’être à la solde d’une puissance étrangère.
Sans nier le problème de la corruption en Serbie, il faut noter que d’autres drames qu’elle a causés dans la région, dont le récent incendie d’une discothèque en Macédoine (61 morts), n’ont pas provoqué de telles réactions dans la population. Par ailleurs, les principales ONG soutenant le mouvement (CRTA, BCBP…) ne cachent pas leur financement par des ambassades occidentales, des fondations privées comme Soros ou des agences comme la NED ou USAID.
Surtout, il ne fait aucun doute que les relations que continue d’entretenir Belgrade avec la Russie – Vučić devrait être un des rares dirigeants européens à célébrer la Victoire le 9 mai à Moscou – et son refus d’appliquer les sanctions de l’Union européenne (UE) visant ce pays ont fait de l’actuel pouvoir serbe un paria aux yeux des membres les plus éminents du « club européen ». Sans même parler de sa non-reconnaissance de l’indépendance du Kosovo ou de sa non-candidature à l’OTAN.
Cependant, bien qu’une délégation d’étudiants se soit rendue ce mois d’avril à vélo de Novi Sad jusqu’au parlement européen de Strasbourg pour y dénoncer la « violence » des autorités de Belgrade, il faut remarquer que, contrairement à d’autres « révolutions colorées », comme celle du Maïdan de Kiev, les drapeaux de l’UE sont bien rares lors des manifestations en Serbie, les drapeaux nationaux étant largement majoritaires. De même, les étudiants ont tenu à déposer des fleurs à l’occasion du 26ème anniversaire du bombardement par l’OTAN de la Radio-télévision publique serbe, dont ils interdisent d’ailleurs l’accès aux journalistes et autres travailleurs depuis la mi-avril. Jusqu’ici sans être délogés par la police.
Ceci peut s’expliquer par le manque de popularité dont jouissent à la fois l’UE – à laquelle Belgrade est officiellement candidate depuis 2009 – et surtout l’OTAN, qui a amputé le pays de sa province du Kosovo après une féroce campagne de bombardements en 1999. Néanmoins, le refus des manifestants d’entamer un dialogue avec les autorités, bien qu’elles aient satisfait une partie de leurs revendications et aient pris des mesures concrètes pour lutter contre la corruption, comme leur rejet d’élections anticipées au profit d’un gouvernement soi-disant « technique », laissent penser que leurs commanditaires ont choisi de plonger le pays dans une instabilité durable qui ne pourrait qu’affaiblir la coalition au pouvoir.