Boycotter l'information ?
Erik Rydberg
22 février 2025

Se dessine dans la Vieille Europe un mouvement pour jeter aux orties Twitter (réseau dit social), depuis peu rebaptisé X; voire le boycotter ou, plus fort, carrément l'interdire. Comme quoi, la censure, de discrète et camouflée, se fait désormais bruyante et vertueuse. Bizarre, vous avez dit bizarre?

Qui suit un peu l'actualité l'aura remarqué. Ici et là, des gens, des groupes, qu'on aura tendance aujourd'hui à qualifier d'«influenceurs», bref, des gens et des groupes qui disposent d'une tribune publique et, partant, d'une certaine audience, ces gens et ces groupes en appellent ouvertement à la censure. Qu'on croyait d'un autre âge. Ou, à tout le moins, réservée à celles et ceux - gens de pouvoir - qui sont en position de l'imposer par le "fait du Prince". Sans remonter aux censures exercées contre Les Fleurs du mal de Baudelaire (1857) ou Ulysse de James Joyce (1922), l'interdiction de diffusion en Europe des chaînes d'information russes Russia Today et Sputnik en 2022, mais encore, 2024, des organes de presse russes Ria Novosti, Izvestija, Voice of Europe et Rossiyskaya Gazeta, ce par les "princes" de l'Union européenne, indiquent bien que ne censure pas qui veut.

La censure en question aujourd'hui, bruyante autant que vertueuse, ne vise - pour l'heure - que le réseau dit social Twitter du mégalomane milliardaire un peu fêlé, Elon Musk, fidèle d'un Donald Trump redevenu président des États-Unis. Twitter est ce média internetisé que, mégalo, on l'a dit, il a racheté et rebaptisé "X", et sur lequel il déverse sa micro-prose indigente, voire des informations fausses - voir ses délires sur de prétendus génocides (sic) d'enfants en Grande-Bretagne que l'hebdomadaire Private Eye du 10 janvier a démasqué comme imaginaires. Pour ne pas dire mensongers. Volonté de censure - fait remarquable - qui a ceci de particulier d'émaner de ce qu'on nomme en général la "société civile".

Musk & autres potentats de presse

Personnage pour le moins clivant et connoté du côté de la droite radicale, Musk est pour beaucoup dans l'actuel mouvement de boycott, qui semble plus motivé par le rejet du bonhomme, le patron, qu'en raison de la plateforme elle-même où s'expriment quelque 250 millions de personnes. Qu'il y débite âneries et insanités est incontestable, certes, mais il en va de même dans les bistrots et, dans un cas comme dans l'autre, personne n'est obligé d'écouter. Idem - et là nul mouvement de boycott - dans la presse dite "mainstream", propriété de capitalistes boursicoteurs, comme en France Xavier Niel (Le Monde, L'Obs), la famille Dassault (Le Figaro), Arnaud Lagardère (Paris Match, Europe 1, Hachette, Journal du Dimanche) et ce n'est pas mieux ailleurs.

D'autres sont fâchés avec la permissivité sur la plateforme Twitter/X à l'égard d'opinions qui font violence au bon ton et à une orthodoxie idéologique dans lesquels d'aucuns, en haut lieu, voudraient enfermer la liberté d'expression. En haut lieu et au ras des pâquerettes: une tribune de quelque quatre-vingt associations françaises ont ainsi justifié leur boycott (dans Le Monde du 17 janvier) en concluant sur la nécessité d'agir en sorte que les gens et groupes qui "défendent l'humain et la planète soient entendus et écoutés." Quoi? De force, par la contrainte?

D'autres encore craignent l'influence néfaste que la plateforme pourrait exercer, que ce soit pour désorienter l'électeur ou pour attiser du "haineux". Comme le "décrypteur" des médias Stéphane Fournier l'a rappelé dans un entretien accordé à l'hebdomadaire Marianne (16 janvier), cette influence-là s'adresse en réalité, note-t-il "à un sous-segment de l'électorat de droite" et, partant, comme "de nombreux travaux l'ont montré", ne touche et ne mobilise essentiellement que "les convaincus".

Critiques de l'OTAN, taisez-vous!

Plus sérieusement, en quoi tout ceci concernerait-il l'OTAN, l'hégémonie idéologique et militaire des États-Unis ou le génocide israélien des Palestiniens? Réponse: beaucoup plus qu'on pourrait le penser. C'est qu'on accède sur la plateforme Twitter/X à des voix critiques dont on trouve peu d'échos ailleurs, ou pas du tout: cas des chaînes d'informations russes Russia Today et Sputnik que l'Union européenne et ses États membres ont - "vertueusement", encore - tout bonnement muselées.

Sur Twitter/X, ainsi, on est tenu informé par l'économiste, spécialiste de la Russie, Jacques Sapir, de l'avocat français Régis de Castelnau, de la journaliste éditorialiste de Marianne Natacha Polony, du professeur spécialiste de l'Ukraine à l'Université d'Ottawa, Ivan Katchanovski, du lanceur d'alerte Edgar Snowden, réfugié politique à Moscou, de l'ancien diplomate britannique Craig Murray, de l'historien Bruno Drweski, sans parler de BRICS News, le bloc économique né d'une volonté du Brésil, de la Russie, de l'Inde et de la Chine de faire contrepoids aux blocs étatsunien et européen. Tous, répétons, marginalisés ou carrément interdits d'antenne sur les médias grand public occidentaux. En passant, plus qu'un symbole: Le Monde et Libération se sont rangés parmi les boycotteurs censeurs, mais non le Financial Times ou le Wall Street Journal.

Au final, la grosse question à se poser est celle de savoir dans quelle pièce on joue. Car il n'y a ici guère d'espace pour un choix personnel. Ou bien on se range dans le camp du boycott de l'information avec le journal Le Monde et, en vrac, avec Ms Chappaz, la secrétaire d'État chargée du Numérique en France qui a déclaré vouloir voir bannies les "opinions fausses" (sic), mais encore avec la cheftaine des Écolos français qui, elle, voudrait que Twitter/X soit interdit. Ou bien, devant l'inquiétante montée d'une censure des voix critiques et dissidentes, on dit stop, on joue pas avec.

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