L'Organisation du traité de sécurité collective (OTCS) au Kazakhstan contrarie les États-Unis
Source : INDIAN PUNCHLINE
M K Bhadrakumar
8 janvier 2022

Le point de presse du secrétaire d'État US Antony Blinken à Washington vendredi [7 janvier] a été largement consacré à l'Ukraine et aux prochains pourparlers sur la stabilité stratégique avec la Russie. Mais en réponse à une question soigneusement posée à la fin de l’échange, Blinken a commenté amèrement le déploiement de troupes russes au Kazakhstan.

Blinken a dit que les États-Unis observaient les développements avec une « réelle préoccupation » et a souligné « l'importance absolue du respect des droits de l'homme, de la liberté des médias, y compris la restauration de l’Internet, et de la gestion des manifestations pacifiques d'une manière qui protège les manifestants, respecte leurs droits et soit conforme à l'état de droit. »

De toute évidence, il n'était pas au courant des conditions anarchiques dans lesquelles des "manifestants" avaient incendié la résidence officielle du président et le bureau du maire de la ville d'Almaty. L'ambassadeur de Russie à Washington, Anatoly Antonov, a déclaré dans une interview au magazine Newsweek que les manifestants au Kazakhstan peuvent revendiquer leur filiation à la guerre des États-Unis contre le terrorisme en Syrie et en Afghanistan !

C'est aussi plus ou moins ce que le président kazakh Tokayev avait dit dans un discours à la nation vendredi.

Pourtant, Blinken a souligné avec indignation que Washington s'attendait à ce qu'« il doive y avoir une résolution respectueuse des droits de cette crise… qui inclut la protection des droits de tout manifestant pacifique ».

S'agissant du déploiement de l'Organisation du traité de sécurité collective (OTSC), Blinken a déclaré : « Nous avons des questions sur la nature de la demande (de déploiement), pourquoi elle a eu lieu. Nous cherchons à en savoir plus à ce sujet. Il me semble que les autorités et le gouvernement kazakhs ont certainement la capacité de traiter de manière appropriée les manifestations, de le faire d'une manière qui respecte les droits des manifestants tout en maintenant l'ordre public. Donc, on ne sait pas pourquoi ils ressentent le besoin d'une aide extérieure, alors nous essayons d'en savoir plus à ce sujet. »

Il a répété : « Nous espérons que le gouvernement lui-même pourra rapidement régler les problèmes, qui sont fondamentalement de nature économique et politique. C'est tout l’objet de ces protestations. »

Blinken a conclu qu'il ne confondrait pas les situations en Ukraine et au Kazakhstan. Mais, « Ceci dit, je pense qu'une leçon de l'histoire récente est qu'une fois que les Russes sont dans votre maison, il est parfois très difficile de les faire partir. »

Cette dernière remarque sardonique avait été suscitée par un journaliste bien briefé, qui avait ouvert le feu en soufflant que le général russe qui dirigeait les opérations en cours au Kazakhstan « était justement celui qui dirigeait l'occupation de la Crimée ».

Le journaliste faisait référence à une annonce du ministère russe de la Défense vendredi selon laquelle le général Andrey Serdioukov, commandant des troupes aéroportées russes, avait été nommé pour diriger l'effort de maintien de la paix de l'OTSC au Kazakhstan.

Le général Serdyukov est un général qui a déjà commandé des troupes en Tchétchénie, en Crimée et en Syrie avec une grande expérience du combat. Sans aucun doute, Serdyukov a été trié sur le volet pour la mission au Kazakhstan.

Serdioukov, qui, incidemment, est originaire de la région de Donetsk, a participé aux deux campagnes militaires tchétchènes. En tant que chef d'état-major du district militaire sud de la Russie, il a participé aux opérations en Ukraine à partir de 2014 et en 2019, et avait été brièvement nommé commandant des forces russes en Syrie d'où il est revenu à son travail sur l'Ukraine. Le général figure sur la liste des sanctions occidentales pour avoir commandé les troupes aéroportées affectées aux opérations en Crimée en 2014.

La vaste expérience professionnelle du général dans les interventions de l'armée russe entre évidemment en jeu dans la dernière mission. Les forces russes au Kazakhstan sous son commandement comprennent des unités de la 45e brigade de gardes Spetsnaz, de la 98e division aéroportée et de la 31e brigade d'assaut aérien de la garde.

Clairement, les événements dramatiques – les manifestations qui ont éclaté le 2 janvier et culminant avec la décision de l'OTSC trois jours plus tard de déployer des troupes – ont pris complètement Washington par surprise. L'administration Biden triomphait à l'idée que le Kremlin ait été pris en embuscade en Ukraine et elle s'attendait moins à un déploiement russe à un tel moment au Kazakhstan. L'inquiétude mêlée de perplexité et de fureur dans le ton de Blinken parle d’ell-même.

Ne vous y trompez pas, il y a eu une demande formelle du président kazakh Tokayev sollicitant l'aide de l'OTSC en tant que membre fondateur de l'Alliance. Des rapports suggèrent que des consultations mouvementées se sont déroulées dans la nuit du 5 janvier dès que l'appel à l'aide de Tokayev est arrivée au Premier ministre arménien Nikolai Pashinyan, qui détient la présidence tournante de l'OTSC.

Pashinyan a dûment convoqué une réunion des pays membres de l'OTSC (Russie, Biélorussie, Arménie, Kazakhstan, Kirghizistan et Tadjikistan) et une résolution formelle a été adoptée sous sa signature sur la décision de déployer des troupes. Le document précise que « Sur la base de la demande du Président de la République du Kazakhstan Kasim-Jomard Tokaev et des dangers menaçant la sécurité nationale et la souveraineté du Kazakhstan, résultant d'une intervention extérieure, conformément à l'article 4 du Collectif Traité de sécurité, le rhurd [ ?] a décidé d'envoyer les forces de maintien de la paix en République du Kazakhstan pour une période de temps limitée à la situation dans le pays, à des fins de stabilité et de régulation. »

L'OTSC est reconnue par l'ONU et a agi en vertu du droit international. Les États-Unis n'ont aucun locus standii dans les décisions de l'OTSC.

Il  est raisonnable que Tokayev ait purgé de l'élite dirigeante kazakhe les éléments pro-occidentaux qui auraient agi en tant que collaborateurs des États-Unis dans la situation volatile actuelle. Ces éléments compradores sont très sensibles au chantage US, comme ils conservent leur biens mal acquis dans des propriétés et des comptes en banque des pays occidentaux.

Le Kazakhstan avait montré ces toutes dernières années des tendances dangereuses à graviter en direction de l'orbite occidentale, grâce aux manigances de l'élite parasite dans la structure du pouvoir. Il est certain que Moscou s'attendra à une correction de cap. Tokayev a eu une longue conversation avec Poutine aujourd'hui.

Washington a créé des poches d'influence, en particulier parmi les jeunes et les nationalistes ethniques kazakhs, et alimente les tensions latentes entre la population kazakhe et russe. De même, les diplomates étatsuniens ont travaillé dur pour créer des perceptions négatives contre la Chine dans l'opinion publique kazakhe. Le sentiment de frustration de Blinken doit être compris dans cette perspective.

Washington craint en particulier qu'aucun calendrier précis n'ait été donné au déploiement russe.

Le Kazakhstan est membre du Partenariat pour la paix de l'OTAN depuis 1994. C'était le seul pays d'Asie centrale à avoir envoyé un contingent militaire pour mener la guerre en Afghanistan sous la bannière de l'OTAN. Le Kazakhstan était en train d'être préparé en tant que membre potentiel de l'OTAN, tout comme l'Ukraine et la Géorgie. Tout cela apparait maintenant comme une chimère.

Autres textes de M K Bhadrakumar sur le site du CSO