Alerte Otan n° 90 - Février 2024
« … Mais est-ce que vous condamnez le Hamas ? »

L’insistance à faire précéder tout entretien avec les Palestiniens de l’exigence implicite – et parfois explicite – de condamner le Hamas est devenue une caractéristique de l’environnement médiatique depuis le 7 octobre. En effet, une telle exigence sert de «test » pour déterminer si vous méritez de vous joindre au discours public « civilisé » sur le sujet. Il s’agit d’une tactique bien trop familière visant à cadrer l’entretien avant même qu’il ne commence et à projeter une certaine position sur les Palestiniens avant même qu’ils n’ouvrent la bouche. On cherche ainsi à arracher de manière préventive une concession qui pourra ensuite être exploitée pour justifier les actions israéliennes et le génocide dans la bande de Gaza.

Cette question et d’autres questions « pièges » ne sont pas conçues pour entamer un dialogue de bonne foi mais pour le contrôler, voire y mettre fin. Un autre exemple est celui où il est demandé aux Palestiniens d’apporter implicitement leur approbation à leur dépossession en affirmant « le droit à l’existence d’Israël ». Ces questions détournent l’attention du sujet principal qui est abordé, faisant dérailler des entretiens entiers et détournant l’attention des odieuses violations des droits humains et des crimes de guerre commis contre les Palestiniens tout au long des huit dernières décennies.

L’histoire n’a pas commencé le 7 octobre

Les Palestiniens vivent sous occupation coloniale depuis près d’un siècle maintenant. Avant le 7 octobre, plus de 270 Palestiniens avaient déjà été tués rien que cette année. Les Palestiniens de Gaza vivent depuis plus de 17 ans sous un siège brutal, qui a rendu jusqu’à leur leur eau potable impropre à la consommation. Périodiquement, Israël procède à des bombardements qu’il appelle de manière déshumanisante « tondre la pelouse » afin de maintenir les Palestiniens dans un état de dénuement et sous contrôle. Malheureusement, cela est désormais considéré comme normal par la communauté internationale et même largement accepté. On attend des Palestiniens qu’ils subissent cette situation en silence, sans la moindre perspective qu’il y soit mis fin.

Entamer un échange par le 7 octobre balaie tout cela sous le tapis et décontextualise toute l’histoire de la lutte palestinienne et la réalité quotidienne de la vie sous un colonialisme de peuplement. Les événements qui se déroulent sont alors présentés comme une escalade distincte et sans rapport, émergeant du néant. La guerre actuelle est déconnectée d’une manière qui déforme délibérément les faits sur le terrain et passe sous silence la violence structurelle permanente qui est nécessaire pour soumettre des millions de personnes à une domination étrangère. La vérité est que nous pouvons relier tout ce qui se passe aujourd’hui à sa cause première, à savoir la Nakba de 1948 et le nettoyage ethnique de la Palestine, ce que les médias semblent vouloir de préférence enterrer.

Deux poids, deux mesures

Un autre indice que de telles questions sont malhonnêtes et politiquement orientées, c’est qu’il s’agit d’une voie étonnamment à sens unique : peu importe à quel point les bombardements israéliens sont brutaux, soutenus et aveugles, ou le nombre de Palestiniens anéantis, il n’y aucun entretien avec des Israéliens où on commence par leur demander de condamner le meurtre de milliers d’enfants palestiniens. Au contraire, ces mêmes médias contribuent activement à fabriquer un consentement au bombardement des Palestiniens en jetant le doute sur le nombre de victimes palestiniennes et en reproduisant sans la moindre réserve ni recul les allégations de l’armée israélienne. Et même lorsque la propagande d’atrocités flagrantes est démontée et retirée, les promoteurs de cette propagande sont réinvités pour d’autres entretiens sans retour en arrière ni demandes d’excuses pour leurs déclarations mensongères précédentes.

La communauté internationale est restée les bras croisés à regarder Israël construire et étendre ses colonies sur la terre palestinienne. Elle a vu Israël renforcer son siège, tirer sur des Palestiniens et détruire leurs maisons. Le statu quo apparaissait supportable tant que seuls les Palestiniens en souffraient. La communauté internationale a même tenté de contourner complètement les Palestiniens en procédant à la normalisation des liens entre certains États arabes et Israël, sans aucun projet de solution politique pour les Palestiniens. Cette communauté internationale, qui, face aux crimes d’Israël, a créé un environnement global d’inaction ou de complicité pure et simple, n’a pas le droit de fixer les termes du discours. Lorsque les Palestiniens seront enfin libres, l’audace de cette attitude au milieu de campagnes répétées d’extermination massive paraîtra aussi choquante et ridicule à tous qu’elle l’est aujourd’hui aux yeux des Palestiniens.

Source : Newsletter de l’Association Belgique Palestine de janvier 2024

 

Fathi Nimer, chargé de mission sur la Palestine à Al-Shabaka