Murmures nucléaires à l'ombre des canons
Source : Mouvement Chrétien pour la Paix
10 novembre 2004

Octobre 2004. Jérusalem-Est. Dans quelques heures, l'avion pour Bruxelles.

Avant, il nous faut porter un message à l'une des personnes mises au ban de la société israélienne et à qui il est interdit de rencontrer des étrangers. Nous sommes deux à accomplir cette action: un prêtre belge, représentant le Mouvement Chrétien pour la Paix et un jeune traducteur, belge également. La discrétion est de rigueur. Déplacements en taxi, appels depuis des cabines téléphoniques publiques...

Septembre 1986. Londres. Un ex-technicien nucléaire israélien vient faire des révélations sensationnelles à un journaliste du Sunday Times. D'après cet homme, Israël possède la bombe atomique, et photos à l'appui, il montre l'endroit où les recherches nucléaires ont lieu: une usine souterraine au sein de la centrale de Dimona située dans le désert du Neguev au sud du pays.

Les services secrets de l'Etat hébreux commencent alors à tendre un piège dans lequel ils vont faire tomber leur compatriote trop bavard. L'homme est alors approché et séduit par une fausse touriste américaine, en réalité une agent secret. La proie mord à l'hameçon...

30 septembre 1986. Rome. La traque se termine. L'homme est invité par la séductrice dans une maison de la capitale italienne. Croyant se rendre à un séjour en amoureux, il la rejoint. Sitôt le seuil franchi, il est kidnappé et envoyé en Israël par bateau. Ses propos mettront cinq jours à être vérifiés et publiés, son retour forcé au pays quatre jours de plus pour être reconnu officiellement par Tel Aviv.

Cet homme s'appelle Mordechaï Vanunu. A l'aube de ses 50 ans, il a passé plus du tiers de sa vie en détention. Depuis sa sortie de prison, survenue en avril dernier, il est assigné à résidence avec comme interdiction d'approcher tout port, aéroport ou ambassade, une sorte de mise à l'épreuve donc. Pourtant, il garde la même conviction que celle qui l'a poussé, en 1985, dans les derniers mois de son emploi au centre de recherches nucléaires de Dimona, à prendre des photos pour raconter au monde et à son pays quel secret s'y cachait. "Je ne suis ni un traître ni un espion, j'ai seulement voulu faire connaître au monde ce qui se passait" déclarait-il encore quelques jours avant la fin de sa peine d'emprisonnement.

Mouvement Chrétien pour la Paix: Quelles sont les principales révélations que vous avez faites et quelles ont été pour vous les conséquences immédiates?"

Mordechaï Vanunu: J'ai dit que mon pays détenait environ 200 bombes nucléaires dont des bombes à hydrogène. Mon pays a toujours nié avoir un arsenal nucléaire. C'est quelque chose dont on ne parle pas ici, encore moins à des étrangers. Le Mossad m'a alors kidnappé avec la participation des services secrets français et anglais. J'ai été ensuite accusé d'espionnage et de trahison car j'avais donné des informations confidentielles aux pays ennemis d'Israël et surtout parce que j'avais révélé le lieu de production du plutonium, à Dimona. J'ai donc écopé de la peine maximale: 18 ans de prison, que j'ai faite jusqu'au bout."

MCP: Comment avez-vous vécu votre emprisonnement?"

MV: Il y avait 600 prisonniers palestiniens autour de moi. Ils me traitaient comme un ami mais après quelques années, j'ai été placé en cellule d'isolement et je n'ai plus vu personne à part mes geôliers pendant 11 ans et demi. Les gardiens essayaient de me faire craquer psychologiquement..."

Durant son incarcération, il a pu trouver du réconfort grâce aux différentes marques de soutien qui lui parvenaient de l'étranger, certaines de militants anti-nucléaires, d'autres de pacifistes ou de défenseurs des droits de l'homme. L'épreuve l'a néanmoins marqué et il donne l'impression maintenant de vouloir vivre les choses d'une manière sereine, le pire étant derrière lui en quelque sorte. Car c'est peut-être cela qui frappe le plus chez cet homme: sa détermination à faire entendre sa voix, devenue murmure dans son pays tellement ce qu'il raconte dérange l'opinion publique.

MCP: Que peut-on faire de concret pour vous aider?"

MV: Il faut que vous parliez de moi aux médias européens pour qu'ils viennent m'interviewer. Si vous le pouvez, faites pression sur votre gouvernement pour que mes restrictions soient levées, je pourrai alors quitter le pays pour l'Europe ou les Etats-Unis et écrire un livre sur ma vie."

Chez lui, Mordechaï Vanunu est devenu un paria, "un traître et un espion!". Et ce que les Israéliens ne lui pardonnent pas, outre d'avoir sérieusement égratigné le tabou du nucléaire en Israël, c'est de s'être converti au christianisme. Certains israéliens allant même jusqu'à considérer sa conversion comme la première étape de sa trahison... A leurs yeux, il s'est exclu de leur société.

MV: Depuis que ma famille a appris que j'étais devenu protestant, je n'ai plus de contact avec la plupart d'entre eux, juste avec mon frère, en fait. Ici, je n'ai pas beaucoup d'amis israéliens. C'est difficile de discuter avec eux, surtout de politique car la situation est mauvaise."

Il est vrai que le contexte actuel et l'état d'esprit dans lequels vivent les Israéliens depuis les  désillusions des accords d'Oslo (obsession sécuritaire, méfiance exacerbée vis-à-vis des Palestiniens, marginalisation des pacifistes par l'opinion publique,...), ne crée pas un climat favorable à un échange de vues objectif sur la question de la paix ou de la place de l'arsenal nucléaire dans leur société. Il faut d'abord que se développent les conditions favorables à un véritable dialogue. 

MCP: Comment vivez-vous vos restrictions? Avez-vous un travail?"

MV: Je ne travaille pas et donc je ne gagne pas d'argent, c'est parfois dur. Comme je n'ai pas de passeport, je ne peux pas sortir du pays. Demain, ( le 7 octobre 2004 ) je dois recevoir un prix à New York. C'est l'association de Yoko Ono, la veuve de John Lennon,  qui me le décerne mais je ne pourrai pas y aller, un ami me représentera."

MCP: Est-ce que la durée des restrictions peut être prolongée?"

MV: J'ai introduit un recours contre ces restrictions mais la cour suprême m'a donné tort. En principe, c'est juste un an."

MCP: Ne risquez-vous pas des problèmes en nous rencontrant?"

MV: Je ne pense pas car j'ai déjà rencontré plusieurs étrangers et des médias européens, Radio France par exemple, mais les restrictions, c'est un climat qui est fait exprès pour qu'on ne me rencontre pas. Ils (l es services de sécurité israéliens ) font croire que tout ça est très dangereux, me rencontrer, me parler... Si vous voulez, vous pouvez prendre une photo, je n'ai pas peur."

Il est vrai qu'il émane de cette homme un souci de sérénité qui rassure. La leçon qu'il a donnée il y a presque vingt ans est toujours d'actualité et la polémique soulevée par ses révélations est loin de s'apaiser. "L'espion nucléaire" continue à susciter les réactions les plus vives dans son pays. Pour le voir, il suffisait de regarder à sa sortie de prison les vivats ou les crachats que ses admirateurs ou ses opposants lui adressaient.

MCP: Nous sommes venus vous témoigner notre solidarité pour votre cause, au nom du Mouvement Chrétien pour la Paix et de Pax Christi. Nous essayons de vous aider depuis la Belgique, en envoyant par exemple des pétitions appelant notre gouvernement à prendre position pour lever les restrictions mais il n'y a pas eu le relais politique attendu."

MV: Merci beaucoup et n'hésitez pas à venir me rencontrer si vous revenez à Jérusalem. Je vais vous donner ma carte de visite. Surtout, n'oubliez pas de parler de moi et que les journaux parlent de ma situation, continuez à faire pression sur vos hommes politiques. Ce que je veux avant tout, c'est pouvoir quitter Israël."

Octobre 2004. Quelques heures plus tard. Notre avion survole la Méditerranée. Nous repensons à cet homme et nous ne pouvons qu'admirer son engagement dans la cause pacifiste. Au nom de la paix, il a passé des années derrière les barreaux et continue à subir les conséquences de son geste. A nous maintenant de poursuivre son travail en faisant connaître au plus grand nombre qui il est et ce qu'il a fait.

Propos recueillis par Godefroi Glibert

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