| imprimer  Invisibles et indésirables : les nouveaux réfugiés du Kosovo Georges Berghezan1 juillet 2001
 source : Imagine
 Ils sont réfugiés, demandeurs d’asile en Belgique. Ils sont 
  Roms, traités de « Tziganes » ou d’autres noms qu’ils 
  perçoivent comme insultants. Ils sont venus du Kosovo, ayant fui cette 
  province depuis qu’elle est gérée par l’ONU et l’OTAN. 
 La dernière vague de réfugiés du Kosovo n’a pas suscité 
  l’attention médiatique de la précédente, à 
  l’époque où l’OTAN bombardait la Yougoslavie et où 
  les forces serbes expulsaient les Albanais censés avoir souhaité 
  cette intervention. Les nouveaux réfugiés du Kosovo sont en majorité 
  serbes et déplacés dans le reste de la Serbie, mais aussi membres 
  des nombreuses autres minorités qui peuplaient cette province bigarrée 
  : Monténégrins, Turcs, Croates, juifs, Slaves musulmans d’origines 
  diverses, et bien sûr Roms, dont beaucoup ont choisi l’exil au-delà 
  des Balkans, en particulier en Italie, Allemagne et Belgique.  Malgré un diplôme d’informaticien obtenu à Pristina, 
  Besim tenait l’épicerie familiale à Gnjilane, une ville au 
  nord-est du Kosovo, épargnée par les troubles jusqu’au début 
  des bombardements, en mars 1999. Avec sa femme et deux enfants, il habitait 
  dans un quartier où Roms et Albanais avaient toujours vécu en 
  bonne entente. Pendant la guerre, il a continué à tenir son commerce, 
  passant les nuits dans la cave de ses voisins. Le 19 mai, son beau-frère 
  est tué par une bombe de l’OTAN ayant frappé l’usine 
  de camions où il travaillait. Quatre jours plus tard, son père 
  est détroussé et assassiné par des inconnus alors qu’il 
  allait s’approvisionner dans la ville voisine de Vitina.  La guerre s’achève le 10 juin, l’armée yougoslave se 
  retire et est remplacée par des troupes de l’OTAN, françaises 
  dans un premier temps. Dans leur sillage, arrivent les hommes de l’Armée 
  de libération du Kosovo (UCK), qui prennent le contrôle de la commune 
  et des entreprises abandonnées par les Serbes. Le 14, son cousin Enver, 
  président de la communauté rom de Gnjilane, riche de 6.000 âmes, 
  se rend au QG de l’UCK pour demander sa protection. Il lui est répondu 
  : « Ici, maintenant, c’est l’Albanie, partez en Serbie ! ». 
  Les troupes françaises sont remplacées par des Américains 
  et les violences contre les Roms et les Serbes se déchaînent. Personnage 
  trop visible, Enver ne tarde pas à s’exiler. Besim s’accroche, 
  persuadé que la situation va se stabiliser. Hélas, au début 
  juillet, son magasin, puis sa maison, sont pillés. Il est menacé 
  de mort par 6 hommes se réclamant de la « police de l’UCK 
  ». Le 26 juillet, il est parmi les derniers Roms de sa génération 
  à quitter Gnjilane, emmenant en voiture sa mère, sa femme enceinte 
  et ses enfants.  Besim et les siens se rendent à Bujanovac, petite ville du sud de la 
  Serbie, submergée de réfugiés. Il y laisse sa mère 
  et continue vers le Monténégro. Près de Bar, le 20 août, 
  la petite famille embarque, avec 65 autres Roms kosovars, dans une barque de 
  pêcheurs surchargée. La traversée de l’Adriatique n’est 
  pas gratuite : ce sont 5.000 DEM (1) qu’il doit payer au passeur pour le 
  ticket familial vers l’Italie. Les passagers ne se doutent de rien en voyant 
  le hors-bord qui les suit depuis la côte monténégrine. Mais, 
  en pleine nuit, le pilote quitte subrepticement la barque qu’il gouvernait 
  et disparaît dans le hors-bord qui retourne vers le Monténégro. 
 Désemparés, c’est bientôt la panique qui gagne les 
  réfugiés quand ils se rendent compte, vers 4 heures du matin, 
  que l’eau s’infiltre dans leur embarcation. Heureusement, ils parviennent 
  à faire fonctionner la vieille radio du bord et à lancer des SOS. 
  La police monténégrine est la première à répondre, 
  mais ne semble guère compatir au sort de dizaines de personnes en danger 
  de mort : « Vous êtes des illégaux, vous n’avez qu’à 
  nager maintenant ! ». Sur une autre fréquence, ils entrent en contact 
  avec la police de Dubrovnik qui comprend immédiatement la gravité 
  de la situation. Les Croates enjoignent aux Roms de ne pas cesser d’écoper 
  et préviennent le ferry italien Laburno, effectuant la liaison Bar-Bari. 
  Le navire détourne sa route pour les secourir. Bien que sauvés, 
  les Roms ne sont pas au bout de leurs épreuves. A Bari, les autorités 
  italiennes interdisent le débarquement des naufragés. Le Laburno 
  doit retourner à Bar pour se débarrasser de son encombrante cargaison. 
 Pour Besim et sa famille, c’est le retour à la case départ, 
  ou plutôt à Bujanovac, où il retrouve sa mère. Il 
  travaille un peu, vend sa voiture et reçoit de l’argent de sa sœur 
  établie en Allemagne. Après la naissance du petit Kader et la 
  nouvelle de l’assassinat d’une vieille tante restée à 
  Gnjilane, la famille tente à nouveau l’exil vers l’ouest, mais 
  cette fois-ci par la route. Fin avril 2000, ils se rendent à Belgrade, 
  puis à Subotica, près de la frontière hongroise, où 
  les 6.000 DEM récoltés à Bujanovac sont investis dans un 
  transport en camionnette. Cachés à l’arrière, ils 
  n’ont aucun problème aux frontières (une partie de la somme 
  servant probablement à corrompre les douaniers) et arrivent dans le nord 
  de l’Italie, via la Slovénie. Ils changent de véhicule, traversent 
  la France et sont le 16 mai en Belgique.  Sans perdre de temps, ils se rendent à Bruxelles pour faire une demande 
  d’asile à l’Office des Étrangers. Parlant couramment 
  rom, serbo-croate, macédonien et albanais, Besim accepte l’interprète 
  albanais qu’on lui propose. Mais le comportement de celui-ci est pour le 
  moins surprenant : non seulement, il lui conseille de se dire Albanais de la 
  région de Presevo, dans le sud de la Serbie, où une filiale de 
  l’UCK vient de lancer une guérilla, aujourd’hui éteinte, 
  mais il ne lui restitue pas ses documents yougoslaves – passeport, carte 
  d’identité… - après les avoir faits photocopier. Besim 
  se déclare néanmoins Rom et fait un récit détaillé 
  de tout ce qui lui est arrivé. Évidemment, il n’a aucune 
  idée de ce qui a été traduit au fonctionnaire de l’Office. 
 Installés dans la banlieue anversoise, Besim, sa femme et leurs enfants 
  reçoivent trois mois plus tard une réponse négative à 
  leur demande d’asile, sous la forme d’une « annexe 26bis », 
  ordonnant qu’ils quittent le territoire. Interdits de travailler, ils bénéficient 
  d’une aide du CPAS local. Arrivé également en Belgique après 
  plusieurs mois passés dans le camp de réfugiés de Stankovac 
  (Macédoine), son cousin Enver connaît le même sort. Malgré 
  son rôle dirigeant dans sa communauté, l’Office des Étrangers 
  met systématiquement en doute son récit. Faisant fi des rapports 
  et témoignages d’innombrables observateurs sur l’insécurité 
  totale des communautés non albanaises (2), son « annexe 26bis », 
  datée du 29/11/00, précise : « Suite à l’évolution 
  de la situation objective au Kosovo depuis la fin de la guerre et à la 
  présence de la KFOR, cet argument (sur le manque de sécurité, 
  NDA) ne peut être considéré comme actuellement pertinent 
  ». La mention de la présence de la KFOR, les troupes de l’OTAN 
  au Kosovo, laisse échapper un soupir désabusé à 
  Besim et Enver : si les Français ont empêché les pires excès, 
  les soldats américains qui ont suivi ont regardé piller et brûler 
  120 maisons roms durant leur premier mois de présence à Gnjilane. 
  Des Roms tabassés par des hommes de l’UCK sous les yeux des « 
  peacekeepers » ont ensuite été arrêtés par 
  ceux-ci pour « trouble de l’ordre public ».  Ce récit est représentatif du sort et du parcours des Roms kosovars 
  jusque chez nous. Concentrés dans la région anversoise, ils seraient 
  jusqu’à 8.000 en Belgique, un chiffre considérable au regard 
  de l’importance de leur communauté, évaluée à 
  une centaine de milliers. Perdus dans la catégorie des « Yougoslaves 
  », le nombre précis de Roms kosovars arrivés en Belgique 
  depuis 1999 est impossible à déterminer. Aucun d’entre eux 
  n’a, à ce jour, reçu le statut de réfugié. 
  Si une partie a vu sa demande jugée « recevable » et attend 
  une décision « sur le fond », la plupart tombe sous le régime 
  de l’ « annexe 26bis » et sont donc « expulsables ». 
  Bien qu’ils n’en aient plus l’obligation depuis quelques mois, 
  les CPAS continuent généralement à aider les « 26bis 
  », à l’inverse – semble-t-il – de ceux qui ont hérité 
  d’une « annexe 13quater », après qu’une seconde 
  demande d’asile ait été déclarée irrecevable, 
  et se retrouvent dans une situation sociale dramatique.  Heureusement, à l’inverse de l’Allemagne, la Belgique n’a 
  pas encore déporté de Roms sur Pristina. Victimes des pires pogroms 
  qu’ait connu leur communauté depuis l’ère nazie, persécutés 
  en raison de leur appartenance ethnique, les Roms kosovars entrent incontestablement 
  dans les critères des conventions de Genève sur les réfugiés. 
  Membre de l’OTAN, mandatée par l’ONU pour assurer la sécurité 
  de tous les habitants du Kosovo, la Belgique porte une responsabilité 
  dans leur tragédie. Aux dernières nouvelles, le Commissaire général 
  aux réfugiés s’est engagé à changer de politique 
  en leur garantissant, sous conditions, l’accès au statut de réfugié. 
  En espérant que les promesses soient rapidement suivies d’effets, 
  conformément au droit international et à la dignité humaine… 
 (1) 1 DEM = 20,6 BEF
 (2) Voir notamment les rapports de l’OSCE et du Haut Commissariat de l’ONU 
  aux réfugiés sur la « situation des minorités ethniques 
  au Kosovo ». Le dernier (daté du 26/03/01, disponible sur http://www.unhcr.ch/world/euro/seo/protect/0103min.pdf) 
  exclut toute possibilité de retour pour les Roms et Serbes qui « 
  ne devraient, en aucun cas, être déportés par les pays d’asile 
  ».
 
 Georges Berghezan Autres textes de Georges Berghezan sur le site du CSO
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