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L’OTAN à la dérive et l’Europe à contretemps

Ben Cramer
1 octobre 2010

Nous vivons une époque fantastique. Si certains acteurs vivent à contretemps, si la classe politique française n’accorde pas à l’époque l’importance qu’elle devrait, de nouveaux acteurs pourraient changer la donne…

L’Afghanistan.

Voilà un cas d’école. Passionnant. Caricaturale la « mission civilisatrice » que l’Occident s’octroie sur ce front. En réalité, des élites politiques se sont fourvoyées. Elles ne peuvent plus prétendre au rôle de médiateurs dans cette poudrière, une poudrière qui risque d’être un sacré bourbier. Que l’élite à Paris considère que c’est un bon terrain d’entraînement pour ses troupes est une chose, mais Paris est hors-jeu pour infléchir les va-t-en guerre. Pire, ce sont les Néerlandais, les Polonais et les Australiens qui lui ont ravi la vedette en prenant leur distance. Ce sont des anciens responsables du MI6 qui avouent que le Pentagone exagère la menace d’Al-Qaïda dans le monde et ces experts utilisent l’IISS (International Institute for Strategic Studies) pour le dire ! Bref, l’Otan va beaucoup s’esquinter dans cette zone fort éloignée de l’Atlantique Nord. La France de Sarkozy a certainement choisi le plus mauvais moment pour rejoindre le commandement militaire intégré.

L’Iran, la prolifération nucléaire et l’exemple turc

Contrairement à ce qu’on pourrait croire, ce ne sont pas les Français mais les Britanniques qui se méfient le plus des conséquences imprévisibles que pourraient avoir des opérations militaires à l’encontre de sites (nucléaires ou pas) en territoire iranien. C’est du moins ce qui ressort de sondages récents. Cette méfiance est un signe de sagesse dans la mesure où le recours au nucléaire, où qu’il soit, peut être la conséquence de ce qu’on appelle le « stress of war ». Parmi les autres stress, il y en a un que les stratèges n’ignorent point : les jours du Traité de Non Prolifération (TNP) sont comptés. En attendant, les élites européennes ne semblent pas très mobilisées pour débloquer la situation, ou calmer le jeu. L’Union Européenne dans la rubrique politique étrangère ressemble fort à la Conférence du désarmement (CD) à Genève, cette institution qu’on surnomme parfois la Belle au Bois Dormant. Les initiatives de la PESC en matière de non-prolifération ne sont que des copies conformes aux déclarations du State Department à Washington. La PESC est tellement imbibée d’Otanisme qu’elle n’a pas songé une seule seconde à créer un Conseil de Sécurité au sein des 27 Etats membres (même l’Union africaine s’est dotée d’un conseil de sécurité). Un conseil de Sécurité qui ne valoriserait pas ceux qui détiennent des armes de destruction de masse, contrairement à l’ONU.

Le chemin du renouveau, de l’initiative est donc emprunté par des acteurs qu’on n’attendait pas sur le dossier : la Turquie d’Erdogan et le Brésil de Lula. Incroyables mais vrais, voilà les Turcs- souvent dépeints comme alignés sur Washington, - qui se positionnent en successeurs des Roumains durant la guerre froide (sur le dossier TNP), ou des Polonais du temps de Rapacki…. (le plan de dénucléarisation du ministre, très mal vu à Moscou) ou de la Suède d’Olof Palme. Certains experts des relations internationales imaginent déjà de futurs castings avec des Turcs réconciliés avec les Grecs, même sur le sort de Chypre, qui demanderont poliment aux Américains de ranger leur matériel et de se retirer, comme De Gaulle le fit avec fracas et panache à partir des années 60.

Envers et contre tout, faisant fi des maquettes de l’Europe de Maastricht, ou de Nice, il se pourrait que de nouvelles puissances reprennent le flambeau gaulliste, tentent de se distancier de l’Empire, quitte à innover le concept du ‘non-alignement’ (la première conférence a eu lieu il y a 50 ans !). Il n’est pas exclu que l’un de ces « alliés » qui regarde plus loin que l’horizon de Lisbonne fasse insérer dans sa Constitution (à défaut de constitution européenne digne de ce nom) un article du style : le pays « ne pourra accepter/accueillir aucune base militaire étrangère sur son territoire et ne pourra participer à aucune guerre d’agression ». (article 10 de la Constitution Bolivienne).

De la dénucléarisation à la neutralité

Aucun document de la PESC n’a encore mis en avant la nécessaire dénucléarisation de l’ensemble européen, ne serait-ce que pour donner une petite chance de survie au TNP en 2015. Bref, l’Europe fait fausse route. Pas un commissaire à Bruxelles, pas un parti politique au Parlement pour initier un modèle de dénucléarisation comme le Parlement de Mongolie a réussi à l’imposer (zone exempte d’armes nucléaire reconnue comme telle par l’ONU) à partir de février 2000.

L’idée de dénucléarisation (du sol européen) nous entraîne bien vite au-delà. C’est normal. Après tout, le continent européen compte en son sein toutes sortes de territoires y compris des pays sans armée (Andorre, Islande, Lichtenstein, Monaco, San Marino), des territoires non militarisés dont les îles Aland (Finlande) et l’archipel du Spitzberg (Norvège). Cette diversité a longtemps été un atout même si le pire n’est pas non plus à exclure avec l’indépendance du Groenland, par exemple, un territoire qui, en dépit ou à cause des variations climatiques, pourrait être entraîné dans une nouvelle « guerre froide » face à tous ceux qui convoitent l’Arctique.

L’Europe compte aussi des Etats neutres. Tous les cinq (Autriche, Finlande, Irlande Malte, Suisse) dont 4 membres de l’UE traversent ces temps-ci une crise d’identité. Que le citoyen Français lambda croit encore qu’être ‘finlandisé’ est quasiment une maladie, et un exemple de subordination à l’égard de Moscou, en dit long sur les dégâts du lavage du cerveau au temps de la guerre froide. Mais, plus grave encore, 2/3 des habitants de la Finlande d’aujourd’hui estiment que leur nation finira par adhérer à l’Alliance Atlantique « dans un avenir prévisible ». Pourtant, au vu de la crise économique et financière que les Européens traversent –y compris les budgets militaires - , au vu des clashs potentiels soulevés ci-dessus (Afghanistan, Iran), on peut légitimement se demander pourquoi plaider la cause de la neutralité de l’Europe est si inaudible dans les instances européennes. Pourquoi aucun parti politique pourtant à court de recette n’a mijoté cette idée et présenté l’ébauche d’un programme du genre ?!

Une France plus gaullienne aurait-elle pu ambitionner de freiner les dérives atlantistes de quelques Européens ? Même sous Chirac ? Peu importe le scénario. Aujourd’hui, avec une Union Européenne qui se fond dans ce magma qu’est l’OTAN, l’Europe comme la France vit à contretemps.

« Les dirigeants européens vont demander des liens plus étroits avec l’OTAN », révèle l’Irish Times. Un document préparatoire au Conseil européen du 16 septembre 2010 "présente les relations avec l’OTAN comme une manière d’exploiter davantage les liens de l’Europe avec Washington", en particulier dans les domaines économique et stratégique, explique le quotidien de Dublin. C’est la chef de la diplomatie européenne, Catherine Ashton, qui serait chargée de mettre en œuvre la recommandation des 27 Etats membres. Cette recommandation tombe au plus mauvais moment de l’Alliance. Cherchez l’erreur.

Espérons que les prochains manuels d’histoire au service des générations futures n’insisteront pas trop, le révisionnisme aidant, sur les aspects "positifs" de l'otanisme qui aurait libéré le joug des peuples d’Europe centrale et orientale et fait disparaître le Mur de Berlin.

Ben Cramer
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