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« Si demain, il faut à nouveau manifester pour la paix, j’irai à nouveau. Dans quel état reviendrai-je ? »

Michel Collon
8 mai 2005

Madame la Présidente, Madame et Monsieur les juges, je vous remercie de m’écouter quelques instants. Je serai bref car le procureur a parfaitement détruit le tissu de mensonges proférés par les deux policiers. Mais, quand on est victime d’une agression aussi brutale, de quoi a-t-on besoin ? De justice, et ça commence par pouvoir dire ce qu’on a subi, ce qu’on a ressenti.
Quand on a subi un tel choc, pour pouvoir le supporter, ne pas rester traumatisé, on a besoin de savoir qu’on sera entendu et que les responsables seront punis. Je vous demande donc de vous mettre un instant à ma place : que ressentez-vous quand on vous jette par terre, comme un paquet ? Et dès qu’il n’y a plus de témoins, ces hommes se mettent à vous frapper sans cesse, à coups de poings sur la figure, à coups de pied dans les côtes… Vous crevez de mal, vous crevez de peur, vous pensez, tellement les coups sont violents, que vous allez mourir ou rester handicapé. Et quand vous suppliez qu’ils arrêtent, ça les fait rigoler, et ils tapent encore plus.
Que ressentez-vous quand on vous traite pire qu’un animal, quand on vous prive de toute dignité, de tout respect ? Dans ces circonstances, je pense qu’un homme peut comprendre ce qu’éprouve une femme lors d’un viol.

Après, quand vous apprenez qui vous a fait ça, vous vous demandez quelle sorte de gens prennent ainsi plaisir à frapper, humilier, torturer ?
J’ai parlé de viol. En fait, ces deux brutes Van Impe et Jongen ont violé nos libertés démocratiques. La liberté de manifestation. La liberté d’expression.
Car je ne suis pas masochiste. En arrivant au lieu de rassemblement, je savais très bien qu’il n’y aurait pas de manifestation. Avec des centaines de policiers en tenue de combat et en civil, un hélico, des autopompes, des gaz lacrymogènes, usant de violence en divers endroits, pas question de manifester. Mais juste d’aller exprimer au public et aux médias qu’il était scandaleux qu’on interdise de manifester pour la paix, que cette interdiction de manifester était illégale car condamnée en urgence, à notre requête, par la plus haute instance belge, le Conseil d’Etat.
Un bourgmestre peut interdire une manifestation à tel moment ou à tel endroit, par exemple parce qu’elle gênerait la circulation. Mais la Constitution belge lui défend explicitement d’interdire toute manifestation pour la paix n’importe où n’importe quand. C’est pourtant ce qu’avait fait le bourgmestre de Bruxelles François-Xavier de Donnéa, grand ami de l’Otan et des Etats-Unis.
On était en plein dans l’illégalité, en plein abus de pouvoir. Et c’est cela qu’il fallait cacher en supprimant la liberté d’expression. L’Otan n’aime pas qu’on conteste ses guerres. C’est pour cela que le journaliste Bogaert du Morgen a été arrêté, ainsi d’ailleurs que quatre journalistes ce jour-là.
Et c’est pour avoir revendiqué la liberté d’expression que j’ai été puni. Des témoins ont entendu des policiers dire après mon arrestation : « On l’a bien eu, le journaliste ! » Ma profession n’étant pas écrite sur ma figure, ils savaient donc qui j’étais. Et j’étais visé d’avance en tant qu’organisateur de la manifestation pour la paix.
La preuve : à mes côtés, venant de la conférence de presse et se dirigeant avec moi vers le lieu de rassemblement, se trouvait une dizaine de personnes dont trois professeurs d’université, Messieurs Franck, Piérart et Bricmont. Dans un de leurs procès-verbaux, que même le Parquet considère comme mensongers, les supérieurs de ces policiers brutaux ont prétendu que nous aurions foncé dans un « assaut brutal » vers les policiers. Quiconque regardera l’âge et le gabarit de ces professeurs d’université ne pourra qu’éclater de rire.
Mais, comme le dit le professeur Franck dans son témoignage : « Pour répondre à votre question, je m’étonne aussi que ni moi-même, ni M. Coumont (syndicaliste), ni M. Piérart, ni M. Bricmont, n’avons été le moins du monde inquiétés ni même interpellés. Il n’y a même pas eu le moindre contrôle d’identité. Je ne serais pas surpris que le sort particulier réservé à M. Collon résulte de son identification par les forces de l’ordre. »

Quand on se fait frapper avec une telle violence, on se demande avec angoisse : « Qu’ai-je fait de mal ? » On a besoin de comprendre pourquoi quelqu’un peut vous détester au point de casser vos os, de détruire votre corps. On se pose sans cesse la question car on veut pouvoir continuer à vivre en paix. Le problème : qui peut vous protéger puisque ceux qui vous ont fait ça, sont justement ceux-là qui sont censés vous protéger, paraît-il.
Il faut donc chercher la cause d’une telle haine. Dans la camionnette, en commençant à me tabasser, le policier Jongen m’a hurlé : « Sale anarchiste, tu vas voir ce que c’est de vouloir manifester ! »
Même s’il est mal renseigné sur mes convictions politiques précises, Jongen montre ainsi qu’il agit par motivation de haine politique. D’ailleurs, à l’audience précédente, il a déclaré : « Quand la gauche manifeste, y a toujours de la castagne ! » (sic). Faux ! Personnellement, j’ai déjà participé à de nombreuses manifestations, il m’est arrivé d’en organiser plusieurs, et ça s’est toujours bien passé. Par contre, je veux bien croire que lorsque Jongen intervient, il apporte la castagne lui-même !
Ce que montre ce procès, et les agissements de ces policiers, c’est qu’il y sans doute une présence d’éléments d’extrême droite, fascistes, dans la police de Bruxelles - Ville, comme on l’a vu aussi dans la commune de Schaerbeek. Qu’attendent les autorités de Bruxelles – Ville pour mettre fin à ce scandale ? D’autres victimes ?

A l’audience précédente, le procureur a déclaré : « Je m’inquiète de la déclaration (du policier Gosselin poursuivi ainsi que Van Impe pour le tabassage d’un supporter) disant 'Pourquoi aurions-nous frappé Legrand alors que nous aurions pu attendre le commissariat' ? "
Bavure, dérapage verbal ? Non, à une autre occasion, ils ont déclaré : “Nous ne pouvions pas le tabasser à trente mètres de ses amis” Question : à partir de combien de mètres cela devient-il possible ?
Et lorsque j’ai été confronté à Van Impe et Jongen au comité P (surveillance des polices), il a été dit du même genre : “On n’allait quand même pas le tabasser, il y avait plein de caméras”.

Je conclus. Pourquoi cette violence gratuite ? On a essayé de nous enlever le droit de manifester contre la guerre. Mais je vous le redis très clairement, Messieurs les policiers : le droit de manifester est inscrit dans la Constitution et aucun bourgmestre, aucun ministre, et même pas un policier de Bruxelles – Ville ne pourra nous l’enlever, est-ce clair ?
Vous avez essayé de me faire peur. Et encore en mars 2003, alors que je protestais contre des brutalités policières envers un jeune (arrêté lors de la manifestation Irak), un de vos collègues est venu m’intimider : “Une manifestation, ça ne vous a pas suffi?”
Non. Je ne me laisserai jamais intimider. Si demain Bush déclenche encore une guerre, avec ou sans la participation ou la complicité de l’Europe, j’irai encore manifester.

Ce procès est donc important, Madame la Présidente, Madame et Monsieur les juges, non seulement pour le passé, mais aussi et surtout pour l’avenir.
Un citoyen de Bruxelles a-t-il le droit de se promener dans la rue sans se faire arrêter arbitrairement ? Depuis ce procès, j’ai entendu beaucoup d’histoires de gens, des jeunes surtout, qui ont été arrêtés et frappés arbitrairement dans le centre de Bruxelles, mais ils n’osent déposer plainte. Je me bats aussi pour eux.
Un manifestant, même de gauche, a-t-il le droit de s’exprimer contre la guerre dans les rues de Bruxelles ?Je le redis donc clairement : si demain, il faut manifester à nouveau pour la paix, j’irai. Dans quel état je reviendrai de cette manifestation, cela dépendra de votre jugement. Merci de votre attention.

Michel Collon
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