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Poutine : L'OTAN n'est plus une organisation hostile...

8 septembre 2004
source : Le Soir

Pour la première fois depuis le massacre de Beslan et son adresse solennelle à la nation, Vladimir Poutine a livré son analyse du traumatisme historique subi par la Russie, de ses origines et de ses conséquences pour le pays. La Russie est entrée en guerre, a déclaré le président, insistant sur l'importance de ce mot dans la culture historique du peuple russe, un mot que jusqu'à ce vendredi noir, le Kremlin s'était toujours refusé à employer, y compris dans le cadre du conflit tchétchène. Et comme lors de chaque attaque, il faut du temps pour se préparer à la guerre, a ajouté Vladimir Poutine, dans une allusion transparente à l'attaque nazie de juin 1941, je me souviens, étant enfant, de ce que mon père me disait : « Quand la guerre est là, et que la motivation monte, la Russie est capable de tout ! »

Au soir du 6 septembre, journée de deuil national en Russie, le président Vladimir Poutine, malmené par les médias occidentaux, s'est exprimé lors d'un long entretien accordé à un groupe d'experts et de journalistes américains et européens invités pour débattre de l'évolution de la Russie. La rencontre s'est tenue à la résidence présidentielle de Novo-Ogarevo, dans la banlieue occidentale de Moscou, un endroit célèbre notamment pour avoir abrité en 1991 les dernières tractations de Mikhaïl Gorbatchev tentant d'y sauvegarder la cohésion et l'unité de l'URSS et de ses républiques.

Dans une atmosphère empreinte de l'immense émotion qui s'est saisie de toute la Russie depuis la tragédie d'Ossétie du Nord, Vladimir Poutine a choisi un ton inhabituellement détendu et direct pour aborder tour à tour les grands enjeux auxquels son pays est aujourd'hui confronté.

Durant près de quatre heures, il a justifié sa politique en Tchétchénie et abordé tour à tour la tuerie de Beslan, sa stratégie en matière de lutte contre le terrorisme, ses rapports avec l'Occident, le possible élargissement de l'Otan ou de l'Union européenne jusqu'à l'Ukraine, les risques de guerre avec la Géorgie, le sort du géant pétrolier Ioukos, les relations avec l'Iran, l'enjeu des relations américaines ou l'état de la démocratie en Russie.

D'entrée, le président russe a nié tout rapport direct entre les événements d'Ossétie et le conflit tchétchène qui dure depuis bientôt dix ans. Il n'y a aucun lien entre la politique russe en Tchétchénie et la prise d'otages, a-t-il martelé. Depuis l'attaque de l'école de Beslan, les autorités russes, relayées par la plupart des médias électroniques, rappellent avec insistance que le commando responsable du massacre n'était pas composé de Tchétchènes mais d'un assemblage hétéroclite de ressortissants russes, ingouches, ossètes et d'une dizaine d'Arabes. Lors de son allocution au pays, retransmise sur les grandes chaînes, le président a pris grand soin de ne jamais citer le nom même de la Tchétchénie. Il a réitéré ses convictions en la matière lors de la discussion de Novo-Ogarevo.

L'image des terroristes que Vladimir Poutine entend donner est celle de groupes de mercenaires sans aucune attache nationale, guidés et financés par des organisations étrangères disposant d'appuis d'Etats. Nous savons précisément d'où vient ce financement, d'ailleurs, a noté le président, mais nous ne jugeons pas efficace ni raisonnable de régler ce problème par la force. Dans ces pays, il faut travailler avec les couches de la société qui sont nos alliés et ces alliés existent.

Dans la foulée, Vladimir Poutine a salué avec fougue le courage et l'héroïsme des forces spéciales engagées à Beslan contre les terroristes : « Eux aussi ont des enfants, mais ils n'ont pas hésité, lorsque la fusillade a éclaté et alors même que l'assaut n'était pas préparé, à se lancer pour sauver les enfants. Dix d'entre eux ont été tués, plus d'une vingtaine blessés. Lors de l'assaut contre la Doubrovka [2002], aucun n'a hésité à entrer dans un bâtiment miné qui pouvait à chaque instant s'effondrer sur eux, a commenté le président, ajoutant : Je crois qu'aucun autre Etat au monde ne dispose de forces spéciales aussi courageuses. »

Quant à l'hypothèse d'une commission d'enquête inspirée de celle mandatée par le Congrès américain sur le 11 septembre, Vladimir Poutine a affirmé ne pas y être opposé si la Douma le souhaitait. Mais il faut absolument éviter qu'un sujet aussi important soit l'objet d'un show politique.

Tout cela n'a pas empêché le président d'aborder spontanément la douloureuse histoire des Tchétchènes, un sujet rarement évoqué par le pouvoir russe. Le premier citoyen du pays a rappelé l'attitude particulièrement héroïque des combattants d'origine tchétchène dans l'Armée Rouge, lors de la Seconde Guerre mondiale et l'injustice particulièrement odieuse dont tout le peuple tchétchène a été ensuite victime du fait de Staline, lorsque le dictateur a décidé, alors que la guerre avec l'Allemagne battait encore son plein, de déporter toute la population tchétchène vers l'Asie centrale et la Sibérie. Il suffit d'aller, comme je l'ai fait, visiter aujourd'hui certains de ces camps pour réaliser toute l'horreur de cette décision, a-t-il noté, expliquant que c'est dans ce genre de mesures effrayantes qu'il fallait chercher les origines du séparatisme tchétchène.

Depuis lors, selon Vladimir Poutine, d'autres erreurs ont été commises, notamment quand, durant ces quinze dernières années, l'Etat russe était trop faible pour résister aux effets destructeurs de l'effondrement de l'URSS. Mais la Russie, juge-t-il, a tout tenté et fait preuve d'une souplesse indéniable pour trouver une solution raisonnable au conflit le plus meurtrier du Caucase Nord. Il y a eu une indépendance de facto pendant trois ans [entre 96 et 99], a rappelé le président, et regardez ce qu'ils en ont fait : des kidnappings par milliers, un marché aux esclaves, des punitions publiques, l'application de la charia, sans parler du chaos social ou des écoles fermées. Aslan Maskhadov ne contrôlait plus rien, les chefs de bande régnaient en maîtres. Dans ce vide de pouvoir, le fondamentalisme islamique est aussitôt apparu. Et a rapidement tenté de se répandre ailleurs.

Lors d'un de ses rares moments d'énervement, Vladimir Poutine s'en est pris vivement à tous ceux qui en Occident, parlent des terroristes comme de rebelles ou qui le conjurent d'ouvrir des pourparlers avec les combattants tchétchènes. Avec qui ?, s'est-il exclamé. Avec Maskhadov ? Il ne représente plus personne. Nous avons trouvé Ahmed Kadyrov, un homme qui nous avait pourtant combattus lors de la première guerre. Mais faut-il donc négocier avec des assassins d'enfants ? Nous ne demandons pas aux Américains ou aux Espagnols de discuter avec Ben Laden et de s'inspirer de ses idées politiques sur le Proche-Orient. Pourquoi ne pas l'inviter à Bruxelles ou à Washington ? Posez-vous seulement la question : voudriez-vous que quelque part au monde, des gens capables de tuer des enfants parviennent au pouvoir ?

Faute de négociations, la guerre de Tchétchénie, qui ne cesse de faire des victimes, va-t-elle donc se poursuivre à l'infini ? D'abord, ce n'est pas une guerre, affirme le président russe, en tout cas pas si on mesure le niveau des hostilités aux standards américains. Il concède que cette situation instable entraîne des violences et des abus de la part des forces russes, comme c'est le cas aussi en Irak pour les Américains, il y a là une logique effrayante et macabre, c'est vrai, mais les auteurs de ces exactions doivent être punis. Sur le plan politique Vladimir Poutine se déclare prêt à poursuivre sur la voie empruntée actuellement, en élargissant peu à peu, patiemment, la base de soutien dont dispose Moscou en Tchétchénie et en procédant notamment à des élections parlementaires. Une autonomie a été accordée, si large qu'elle est aux limites de la Constitution russe. Et nous sommes prêts, encore une fois, à la plus grande souplesse qu'on puisse imaginer pour trouver une solution. Je ne sais pas à quoi nous n'avons pas encore pensé. Mais nous ne risquerons en aucun cas de porter atteinte à l'intégrité territoriale de la Russie.

La guerre totale déclarée au terrorisme international et dans laquelle la Russie est décidée à s'engager nécessite sans doute la constitution d'une coalition plus soudée, fondée sur une coopération largement plus intense. A cet égard, Vladimir Poutine a fait part de son optimisme et des résultats satisfaisants déjà obtenus, notamment à l'échelon politique des chefs d'Etat. Au passage, un bref éloge de George Bush a été prononcé. Non seulement un collègue, mais un être humain, un homme correct et fiable, dont le comportement est prévisible.

Il n'en va pas de même selon lui d'autres acteurs occidentaux situés à l'échelon intermédiaire du pouvoir, notamment dans certaines administrations, forces armées ou services spéciaux. Rappelant que le radicalisme islamique avait été armé par les Occidentaux dans le cadre de la guerre d'Afghanistan, le président russe a déploré la mentalité de guerre froide qui régnait encore dans certains cercles et l'usage que ces derniers espéraient encore faire du terrorisme pour affaiblir la Russie. Nous en avons constamment de nouveaux exemples, a-t-il déclaré, refusant de préciser davantage. Pour eux, a-t-il dit, seule une Russie faible est une bonne Russie. C'est une erreur absolue. Ces gens devraient s'interroger sur le terme de leur raisonnement, ils s'apercevraient alors des conséquences terribles que cela entraînerait. Dans tous les cas, quel qu'en soit le prix ou le sacrifice, ils doivent savoir que nous n'accepterons jamais un tel scénario.

Faut-il voir dans l'élargissement vers l'Est de l'Otan ou dans celui de l'Union européenne, des signes de menace pour la Russie ? Que se passera-t-il si l'Ukraine décide bientôt de rejoindre l'une ou l'autre ? Contrairement à de nombreux responsables politiques russes, qui mettent volontiers les deux institutions dans le même panier, Vladimir Poutine a tenu à les distinguer. Selon lui, un processus de rapprochement de l'Ukraine avec l'Europe ne saurait être qu'encouragé par la Russie, qui doit elle-même s'efforcer de se rapprocher des standards européens dans toute une série de domaines affectant l'économie, des transports jusqu'à la recherche. Si l'Ukraine veut aller plus vite, nous pouvons même l'encourager dans cette voie. Il faut seulement se souvenir que l'Ukraine compte 50 millions d'habitants et que ce n'est pas la république tchèque. Cela coûterait très cher à l'Union qui a déjà pas mal à faire sans cela.

L'Otan, en revanche, c'est autre chose. Vladimir Poutine admet qu'à l'évidence, ce n'est plus une organisation hostile et il doute même de son efficacité militaire. Pour le chef d'Etat russe, l'Alliance atlantique est désormais avant tout un instrument politique. Du fait de son caractère global et de ses effets stabilisateurs, je ne souhaite pas sa mort, remarque-t-il amusé. Mais le président exprime le plus grand scepticisme sur la manière dont les relations avec la Russie sont parfois envisagées par l'Otan. On nous dit que la priorité est à la lutte contre le terrorisme. Peut-on alors me dire en quoi l'adhésion de l'Estonie contribue à cette lutte ? Et pourquoi il paraît nécessaire, aussitôt, d'envoyer des chasseurs de l'Alliance survoler nos frontières ?

Dans une plus grande transparence, remarque-t-il, et dans l'esprit positif qui anime par exemple le secrétariat général de l'Alliance, la collaboration pourrait être très fructueuse. Et si l'Ukraine faisait le choix d'y adhérer, cela nous inquiéterait de toute façon. Mais si cela se faisait de manière intelligente, pacifique et posée, pourquoi pas, en somme ?