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Le concept-poubelle de terrorisme

Erik Rydberg
23 novembre 2023

La Terreur est chose nécessaire, jugeait Victor Hugo. C'était un littéraire. Depuis, on a cherché à en faire une notion juridique, en vain. C'est qu'elle est avant tout politique.

La couverture de presse de conflits armés est rarement neutre. L'Ukraine et la Palestine le démontrent à suffisance. On pouvait ainsi lire, le même jour, mercredi 11 octobre, une Une du journal Le Monde titrant en lettres capitales "En Israël, l'ampleur des massacres de civils" et, en contrepoint, la Une du NCR Handelsblad au Pays-Bas "Nous devons encore nous attendre à Gaza à des choses horribles". L'objectivité a deux faces.

Et l'objectivité n'est pas toujours là où on le pense. L'hebdomadaire communiste suédois Proletären condensait ainsi l'information, le 12 octobre, par une Une sobrement titrée "Attaque historique contre Israël - De nombreux morts dans les deux camps". Voilà une présentation des faits qui sera évidemment dénoncée, au minimum, comme complaisante envers les "terroristes" du Hamas. Mettre en balance les pertes des deux belligérants, non mais! où va-t-on là?

Ce qui devrait cependant interpeller, là, c'est le qualificatif de "terroristes". On ne les trouve que d'un côté, ce sont les combattants du Hamas. Et c'est systématique. Dans la très grande majorité des organes de la presse écrite, c'est le terme de terroriste qui est utilisé pour nommer les combattants du Hamas. Or, comme chaque personne en tant soit peu scolarisée le sait, il s'agit d'un terme qui ne veut rien dire. Ou presque.

Il ne veut rien dire aujourd'hui et il ne voulait rien dire hier. Les Résistants qui ont pris les armes contre l'occupant nazi? Des terroristes. Les États-Unis bombardant sans discrimination l'Irak en 1993: ils avaient baptisé cette "opération" de massacre "Shock and Awe" (Tétaniser et Stupéfier). Toute ressemblance avec un acte terroriste serait-elle fortuite?

Le propre des mots qui ne veulent rien dire est, à force d'être répétés, d'entamer une vie dans les mondes parallèles fantomatiques de la science-fiction. Tout le monde connaît, personne n'a vu. Portrait-robot d'un "terroriste" de banlieue: des "jeunes, violents, instables ou en proie à des désordres personnels". C'est pour rire? On a trouvé ça dans un petit dossier publié par le quotidien français La Croix, le 13 novembre, titré "Menace terroriste, le pays reste en alerte". Où on apprend en passant qu'existent un "procureur antiterroriste", des "services antiterroristes" et, cerise sur le gâteau, un Centre d'études sur le terrorisme (Belgique) et un Centre d'analyse du terrorisme (France): comme Marx ironisait autrefois sur l'appareil répressif policier et judiciaire, florissant grâce au crime, le "terrorisme", c'est aussi des revenus assurés pour une foultitude de diplômés cherchant carrière.

Tout ça pour dire: retour à la case de départ de la vacuité du terme. Comme signalait La Libre (14 novembre), il n'a pas manqué de preux esprits pour chercher noise à la section belge d'Amnesty international au motif qu'elle refuse de qualifier le Hamas de terroriste. À très bon droit évidemment puisque la chose n'a pas d'existence en droit international. Aucun consensus là-dessus. Mieux: comme l'analyse François Dubuisson dans le numéro 3 de la revue Confluences méditerranée de 20171, il y a d'abord, cruciale, l'opposition entre pays du capitalisme avancé (ou sénile, au choix), qui refusent d'étendre le terme au "terrorisme d'État" et, en face, pays de la périphérie (plutôt pauvres et marginalisés par l'Occident), qui de leur côté refusent d'accoler le sobriquet infamant aux mouvements armés de libération nationale. Ajouter que les définitions existantes (nationales, régionales) se distinguent toutes par des critères "très flous et particulièrement flexibles" et "posent en définitive plus de questions qu’ils n’offrent de réponse, ce qui laisse aux États une large marge de manœuvre dans leur application concrète."

Là, la messe est dite. L'étiquette "terroriste" n'est pas juridique, elle est politique. Le terroriste, c'est toujours l'autre camp, les "mauvais". C'est de la même eau que le terme de "régime", il ne vaut que pour les "mauvais" gouvernements (chinois ou russe, par excellence) et on ne verra pas de sitôt un article de presse épinglant le "régime De Croo", le "régime Biden" ou le "régime Macron". Idem avec, usée jusqu'à la corde, l'idée qu'un pays serait "totalitaire", notion popularisée par l'essayiste anticommuniste Hanna Arendt dans les années 1950 et qui connaît actuellement un regain d'intérêt dans le marketing éditorial2.

Concept-poubelle, donc, pour reprendre l'heureuse expression de Régis Debray3, le terrorisme n'est en général que l'écran de fumée pour habiller des actes de guerre qui utilisent les moyens et armes du pauvre, sans aviation, sans tanks, quasi à mains nues. L'attaque du Hamas ne visait évidemment pas à "terroriser" mais à contrer une occupation illégitime4. Rideau.

1. En ligne sur le site de référence Cairn, https://www.cairn.info/revue-confluences-mediterranee-2017-3-page-29-htm, qu'on lira avec fruit.

2. Sur ce regain, la question que chacune et chacun se posera est: pourquoi maintenant ?

3. Debray, Chronique de l'idiotie triomphante, Fayard, 2004.

4. En commettant certes les excès dont la presse pro-israélienne s'est fait les choux gras, mais sur ce terrain de l'information biaisée et donc invérifiable, on doit à l'honnêteté du journaliste Paul Wood de signaler, dans le magazine conservateur haut de gamme The Spectator (14 octobre), que, l'enceinte tombée autour de Gaza, des civils peu disciplinés en sont sortis en nombre assoiffés de vengeance pour se joindre aux forces combattantes.

Erik Rydberg
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