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De Skripal à la Goutha : Le pouvoir absolu de la Reine de cœur (et de ses valets)

Roland Marounek
1 mai 2018

«Les scientifiques de Porton Down étaient catégoriques. J’ai demandé moi-même, j’ai dit au type, “Vous êtes sûr ?” Il m’a répondu qu’il n’y avait “aucun doute”» Boris Johnson, 19 mars. « Nous n’avons pas identifié la source exacte de production du poison », le directeur de Porton Down, 3 avril. Cherchez l'erreur...

La facilité avec laquelle l’hypothèse la plus invraisemblable devient la vérité incontestable des médias et des politiques, sans qu’aucune mise en doute ne soit permise, est fascinante.

Pour qui regarde toute l’histoire Skripal de manière dépassionnée, l’hypothèse ‘c’est la Russie qui l’a fait’ devrait pourtant être la dernière à considérer. Aucun mobile, un timing insensé, à quelques jours de l’élection présidentielle et de la Coupe du Monde de foot, et une réalisation désastreuse en utilisant une substance bien connotée ‘russe’ et qui en plus manque sa cible…

Somme toute on accuse Poutine d’être encore plus bête que méchant.

Et pourtant c’est sur ces bases farfelues, sans la moindre preuve, que quelques jours plus tard tous les pays de l’Otan expriment leur « leur totale solidarité avec le Royaume-Uni » qui accuse ouvertement la Russie, et se mettent à expulser les diplomates russes, ou à rappeler leurs ambassadeurs à Moscou.

L’Otan se permet un incroyable langage menaçant, « sommant » la Russie de s’expliquer sur l’utilisation sur le territoire de l’Alliance d’une arme chimique !

Le Ministre belge des Affaires Étrangères en agissant conformément aux vœux de l’Alliance estime-t- il vraiment que les affirmations péremptoires du gouvernement britannique font office de preuve (que de chemin depuis Tony Blair…), ou est-il contraint de se soumettre aux ordres de l’Otan, au mépris du droit ?

Dans l’un et l’autre cas c’est extrêmement préoccupant, et d’autant plus inquiétant que l’ensemble des médias semblent trouver parfaitement normal que le jugement précède les preuves, et qu’aucun parti politique n’estime nécessaire de poser la moindre question.

Ce « régime» qui ne peut s’empêcher de gazer des enfants …

La leçon c’est qu’on peut y aller très franchement: pas besoin d’évidence, ni même de vraisemblance. Plus fort encore, des mensonges révélés, telle l’affirmation de B. Johnson ci-dessus, n’ont quasiment aucun impact sur la « réalité » construite. Face à ce fait qui semblait pourtant accablant, le Figaro titre sobrement « Moscou veut semer le doute sur l’empoisonnement ». Il suffira de passer rapidement à une autre ‘information’…

Et cela n’aura pas tardé: revoilà les armes chimiques du « régime syrien » et les images horribles d’enfants morts écume aux lèvres.

Le fait qu’il soit littéralement insensé pour l’armée syrienne d’utiliser l’arme chimique pour tuer une quarantaine de femmes et d’enfants alors qu’elle était sur le point de terminer la libération totale de la Goutha, n’a aucun effet sur le récit imposé. Face aux images d’enfants, seule la honte attend celui qui osera émettre le moindre doute. Et ces Russes « qui utilisent des armes chimiques sur le territoire de l’Alliance » auront beau encore nier sans vergogne…

Les chefs d’états occidentaux – et leurs médias – se sont rangés avec enthousiasme aux côtés de la Reine de Cœur d’Alice, « La condamnation d’abord – les délibérations ensuite ». Les missiles pleuvent sur la Syrie le jour même où devait commencer l’enquête de l’OIAC.

La marche des somnambules vers la guerre

Cet emballement construit contre l’ennemi désigné, rappellent sinistrement les précédentes préparations médiatiques à la guerre. La grande différence, c’est que les forces en présence n’ont rien à voir avec celles de la Yougoslavie, de l’Irak ou de la Libye. Certains seraient-ils à ce point sûr de la supériorité finale de l’Otan, ou à ce point certains que la Russie finira par plier face aux menaces ?

Ce qui est certain, c’est qu’une guerre avec la Russie, quelle qu’en soit l’issue serait une catastrophe absolue pour les populations européennes. Et la très remarquable fidélité à l’Alliance Atlantique de notre gouvernement n’aidera sûrement pas notre pays.

Cette si longue compassion de l’Occident envers le peuple syrien….

« En vertu du droit international, le Royaume-Uni est autorisé, à titre exceptionnel, à prendre des mesures pour soulager des souffrances humanitaires écrasantes.[…] La base légale du recours à la force est l’intervention humanitaire » Communiqué du gouvernement britannique, 14 avril

Dans leurs déclarations, les dirigeants occidentaux n’agissent que par pure bonté pour le peuple syrien. Cette compassion ressemble à celle de Léopold II pour les populations du Congo.

L’histoire retiendra plutôt que les anciennes puissances coloniales de la région (France et Grande Bretagne) et les nouvelles (Israël et USA) se sont acharnées pendant 7 années pour la destruction de ce pays indépendant. Et elle retiendra comment la chute du communisme en URSS a permis la reprise de la politique de la canonnière du 19e siècle

Cette agression a lieu juste au moment où l’armée syrienne venait de remporter une grande victoire sur les bandes jihadistes qui terrorisaient la capitale et sa banlieue depuis 7 ans–fanatiques que l’Occident tente de déguiser en rebelles modérés:

« Je vous apporte une bonne nouvelle, vous, malpropre chiites, les peuples de Goutha et du Levant vont vous écraser la tête. Ils vous feront gouter la souffrance de la torture dans ce monde, avant qu’Allah ne vous le fasse goûter le jour de la résurrection…. » (déclaration de 2013 de l’Armée de l’Islam, le dernier groupe ‘rebelle’ de la Goutha à avoir capitulé)

Le si compatissant occident a ainsi consciencieusement attisé le désastre depuis 2011:

  • fournitures d’armes et de financement aux ‘rebelles’ entre autres par les USA et la France (officiellement dès 2012)
  • poussée à peine voilée du soi-disant État Islamique à partir de 2013 contre la Syrie : un document de la DIA déclassifié en 2015 indique cyniquement que « si la situation se dégrade, il y a la possibilité voir s’établir une principauté salafiste déclarée ou non dans l’est de la Syrie, et c’est exactement ce que veulent les puissances soutenant l’opposition, afin de d’isoler le régime syrien »
  • en septembre 2016, premier bombardement « par erreur » de l’armée syrienne qui permet à Daech de lancer une contre-offensive dans la région de Deir ez-Zor
  • après la « libération » de Raqqa, accord avec plusieurs milliers de jihadistes de l’Etat Islamique pour les laisser quitter la ville afin de « booster la lutte US contre les forces du président al-Assad » selon les aveux même d’un ancien commandant du nouveau groupe ‘démocratique’ soutenu par le Pentagone, les FDS
  • 30 mars 2017 : « notre priorité n’est plus de se focaliser sur l’éviction d’Assad » déclare la porte parole US à l’ONU ; 5 jours plus tard a lieu l’attaque chimique de Khan Cheikhoun, tenu par Al Qaida, et le revirement de la marionnette Trump.
  • février 2018 : l’aviation de la dite coalition internationale contre Daech pilonne pendant 4 heures les forces gouvernementales qui s’étaient approchés trop près des nouveaux proxies US (où sont recyclés les membres de Daech !), faisant des centaines de victimes
  • ...sans compter les innombrables bombardements d’Israël pour affaiblir l’armée syrienne et ses alliés dans leur lutte contre les jihadistes

Cette dernière attaque vise à prolonger le conflit en redonnant l’espoir aux groupes islamistes, que d’avantage de provocations de leur part permettra de faire intervenir plus ouvertement les pays de l’Otan en leur faveur. Et certainement pas les encourager à négocier en vue de la paix.

Roland Marounek
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