Il vaut toujours la peine de revenir en arrière pour aller de l'avant. Et notamment en faisant bon usage de la pratique de l'«exzerpieren» pour utiliser le terme de Karl Marx pour ses recopiages, il en remplissait carnet sur carnet dans le silence de la British Library à Londres.
C'est une manière de constituer sa propre encyclopédie. Dans le cas qui nous occupe, l'OTAN, l'Ukraine, la guerre entre Washington et la Russie, c'est le recopiage des éléments forts d'un article paru dans The German Times en novembre 2008. C'était un périodique mensuel de grande qualité qu'on ne trouve plus comme auparavant chez le libraire et, pour cause, car comme beaucoup d'autres véhicules de la civilisation de l'écrit, il a cessé de paraître en 2020.
L'article en question, dû à la plume de l'historien et journaliste Jocken Thies, était titré "Le point de vue de Moscou". En soi, c'est déjà presque blasphématoire, tant la russophobie des élites dans les capitales européennes s'emploie à faire taire ce qui les dérange. Mais, là, donc, on est 2008.
Ce que développe ici l'auteur est la thèse selon laquelle "les politiciens russes ont anticipé les mutations" dans les sphères de pouvoir post-1989. Ainsi, pour eux, "il était prévisible que l'Allemagne de l'Est, la Pologne et les trois États baltes - peut-être même la Hongrie - allait tomber directement sous la coupe tant de l'OTAN que de l'Union européenne. Mais les États-Unis auraient dû s'arrêter là. Au lieu, ils ont poursuivi leur marche vers l'Est, faisant courir le risque d'une nouvelle version du «Grand Jeu» en quête de ressources stratégiques et d'influence dans le Caucase et le long de l'Hindu Kush."
Jocken Thies note ici comme en passant que "Rarement un petit pays comme la Géorgie a-t-il reçu une manne financière aussi importante de l'Occident en un temps aussi court." On se souviendra que c'est justement en août 2008 que la Géorgie, sans doute enhardie par ces marques d'affection, lance une opération militaire spéciale contre la province dissidente d'Ossétie du Sud, largement russe, d'où viendra riposte musclée et défaite à plate couture.
Mais c'est pour ensuite conclure: "Ce qui est certain, c'est que la région allant de la Biélorussie jusqu'à l'Ukraine, la Géorgie et la bordure méridionale de l'ancienne Union soviétique restera, dans un avenir prévisible, dans la sphère d'influence de la Russie - pour des raisons de stratégie militaire, de géopolitique historique et de démographie." Pour sortir le crayon rouge, ici, on a l'embarras du choix, mais sort du lot ce "dans un avenir prévisible". Cet avenir était prévisible en 2008. Et prévisible jusqu'en 2022 quand les armes feront éclater le conflit en ukrainien, prévisible jusqu'en 2022 et au-delà.
Le message que Thies cherchait à faire passer en 2008 pourrait être résumé en trois mots: cessez de rêver. On connaît la suite.