Derrière le verdict de Londres sur Julian Assange

Manlio Dinucci
5 janvier 2021

D’un procès injuste -celui à Londres de Julian Assange, fondateur de WikiLeaks- est sortie une sentence qui à première vue semble juste : la non-extradition du journaliste aux États-Unis, où l’attend une condamnation à 175 années de réclusion sur la base de la Loi sur l’espionnage de 1917. Reste à voir, au moment où nous écrivons, si et de quelle façon Assange sera libéré après sept ans de confinement à l’ambassade d’Équateur et presque deux années d’incarcération dure à Londres. 

On parle d’une libération sous caution, mais, si Washington fait appel contre la sentence (comme il semble certain), la procédure d’extradition peut être ré-ouverte et Assange doit rester à disposition de la magistrature en Grande-Bretagne. Sans oublier le fait que dans son verdict la juge Vanessa Baraister s’est dite convaincue de la “bonne foi” des autorités étasuniennes et de la régularité d’un possible procès aux États-Unis, en motivant le verdict seulement pour des “raisons de santé mentale” qui pourraient amener Assange au suicide.

En réalité qu’est-ce qui a déterminé, à ce moment, la non-extradition de Julian Assange aux USA ? 

D’une part la campagne internationale pour sa libération, qui a porté le cas Assange à l’attention de l’opinion publique. D’autre part le fait qu’un procès public d’Assange aux USA serait extrêmement embarrassant pour l’establishment politico-militaire. Comme preuve des “crimes” d’Assange l’accusation devrait montrer les crimes de guerre étasuniens, mis en lumière par WikiLeaks. 

Par exemple, quand en 2010 l’agence a publié plus de 250.000 documents étasuniens, parmi lesquels beaucoup sont étiquetés “confidentiels” ou “secrets”, sur les guerres en Irak et en Afghanistan. Ou bien quand en 2016, au moment où Assange était déjà confiné dans l’ambassade équatorienne à Londres, WikiLeaks a publié plus de 30.000 e-mails et documents envoyés et reçus entre 2010 et 2014 par Hillary Clinton, Secrétaire d’État de l’Administration Obama. 

Parmi ceux-ci un e-mail de 2011 révélant le véritable but de la guerre OTAN contre la Libye poursuivi en particulier par USA et France : empêcher que Kadhafi n’utilise les réserves d’or de la Libye pour créer une monnaie pan-africaine alternative au dollar et au franc CFA, la monnaie imposée par la France à 14 ex-colonies.  Avec les dizaines de milliers de documents, qui ont mis en lumière les véritables objectifs de cette opération de guerre et de quelques autres, WikiLeaks a publié les images vidéos des massacres de civils en Irak et ailleurs, montrant le véritable visage de la guerre. Celui qui est aujourd’hui caché par les grands médias. 

Alors que dans la guerre du Vietnam des années Soixante les compte-rendus de journalistes et les images des massacres suscitèrent un vaste mouvement contre la “guerre sale”, contribuant à la défaite des USA, le journalisme de guerre est aujourd’hui de plus en plus enrégimenté : aux correspondants embedded, suivant les troupes, n’est montré que ce que veulent les commandements, les seuls autorisés à fournir des “informations” dans leurs briefing. Les rares vrais journalistes opèrent dans des conditions de plus en plus difficiles et risquées, et souvent leurs compte-rendus sont censurés par les grands médias, dans lesquels domine la narration officielle des événements.

Le journalisme d’investigation de WikiLeaks a ouvert des brèches dans le mur d’omertà médiatique qui couvre les réels intérêts de puissantes élites qui, opérant dans l’”État profond”, continuent à jouer la carte de la guerre : avec la différence qu’aujourd’hui, avec les armes nucléaires, elle peut mener le monde à la catastrophe finale.

Violer les cabinets secrets de ces groupes de pouvoir, en mettant en lumière leurs stratégies et leurs trames, est une action extrêmement dangereuse que ce soit pour les journalistes ou pour ceux qui, se rebellant contre l’omertà, les aident à découvrir la vérité.

Emblématique est le cas de Chelsea Manning, la militante étasunienne accusée d’avoir fourni à WikiLeaks des documents dont elle avait eu connaissance en travaillant comme analyste de renseignement de l’Armée USA pendant la guerre en Irak. Elle a été pour cela condamnée à 37 années de détention dans une prison de haute sécurité et, relâchée après 7 années de détention dans des conditions très dures, elle a été de nouveau incarcérée pour avoir refusée de témoigner contre Assange ; après une tentative de suicide, elle a été remise en liberté provisoire.

Édition de mardi 5 janvier 2021 d’il manifesto
https://ilmanifesto.it/dietro-il-verdetto-di-londra-su-julian-assange/ 
Traduit de l’italien par M-A P.