Kosovo, essai en plein champ de l'impérialisme guerrier

Manuel Grandjean
24 mars 2004

Les plus optimistes et les moins critiques des observateurs estiment prématuré de juger, un an après, de l'effet de la guerre illégale menée contre l'Irak. Soit. Laissons de côté la flambée du terrorisme mondial et le chaos croissant dans ce pays «libéré».

Mars –qui décidément porte bien son nom de dieu de la guerre– permet un autre bilan.

Il y a cinq ans exactement, l'OTAN intervenait contre la Yougoslavie pour protéger les Albanais du Kosovo. Peu après le début des bombardements, nous écrivions ceci: «Kosovars et Serbes vivaient hostiles mais ensemble, on sait déjà qu'ils ne pourront plus vivre que séparés et dans la haine. Quelle que soit l'issue du conflit, le germe d'une possible déflagration future est déjà semé.» A l'évidence, l'embrasement antiserbe de la semaine dernière montre que la «guerre humanitaire» est une contradiction dans les termes et une absurdité dans les faits. Mais le bilan de l'opération «Force déterminée» dépasse de loin ce simple constat éthique.

Politiquement, la guerre menée par l'OTAN sous commandement des Etats-Unis a permis la création d'une zone au statut indéterminé, administrée sans limite de temps par l'ONU. Illimitée, parce qu'on ne voit pas ce qui, aujourd'hui, viendrait débloquer une situation pourrie par l'exacerbation des nationalismes tant kosovar que serbe.

Dans la même résolution 1244 du 10 juin 1999 qui crée cet état de (mé)fait, le Conseil de sécurité réaffirmait avec instance le droit de tous les réfugiés et déplacés à rentrer chez eux. Non seulement cet objectif n'a pas été atteint, mais les Serbes restés au Kosovo ont été la cible d'un nettoyage ethnique que les forces internationales se sont montrées incapables de juguler.

En revanche, le conflit a bien été utile à quelques-uns. Depuis cinq ans, les industries épuisées par la guerre ont été rachetées à bas prix par des investisseurs étasuniens –ainsi l'aciérie serbe Sartid tombée entre les mains de US Steel– et de gigantesques bases militaires ont poussé sur les territoires «libérés».

A maints égards, la guerre du Kosovo a été annonciatrice des suivantes. L'essai en plein champ d'une nouvelle stratégie économico-guerrière.

Ainsi, avant le début des hostilités, on retrouve –à Rambouillet ou à New York– les mêmes négociations factices, la même mise en scène d'un échec programmé, destiné à préparer l'opinion publique à l'inéluctable. Les mêmes exagérations mensongères également –génocide ou armes de destruction massive– concoctées par les mêmes désinformateurs: Alastair Campbell, le maître communicateur de Tony Blair était déjà de la partie en 1999. Enfin, la même illégalité des opérations guerrières, menées en violation du droit international. Puis le transfert à l'ONU de la gestion des aspects les plus délicats et hasardeux de la situation résultante, tandis que les affaires continuent...

Du Kosovo à l'Irak, il faut cependant noter une évolution réjouissante. Il y a un an, il ne s'est trouvé personne dans les milieux progressistes pour croire à la justification de l'invasion «pour abattre le tyran et affranchir le peuple opprimé». De même, l'opinion mondiale n'a pas été dupe. La prochaine fois, il s'agira évidemment de faire capoter l'impérialisme guerrier avant qu'il ne fasse ses ravages.