Faut-il envisager un « après l’OTAN » ?
Nicolas Bárdos-Féltoronyi
29 juillet 2020

« Aujourd’hui, l’Europe devrait avoir conscience que l’Otan est avant tout un reliquat encombrant de la guerre froide car l’Otan conçoit la paix selon vis pacem para bellum (si tu veux la paix, prépare la guerre)... Pour renforcer la sécurité européenne, il faut de toute urgence réhabiliter et renforcer tous les lieux et institutions capables de recréer les mécanismes de sécurité fondés non sur la défiance mais sur la coopération… »1

Même le journal britannique proche des milieux de finances The Financial Times s’écrit un peu scandalisé2 : en matière de dépenses budgétaires, l’Europe occidentale et du centre s’est alignée sur la position de Washington pour augmenter « les efforts financiers ou non de guerre », en dépit des campagnes incessantes d’austérités budgétaires en Europe (voir par exemple l’achat par la Belgique des avions F 35 parfaitement inutiles). L’article présente l’Europe comme si elle n’était qu’un simple enjeu entre Washington, Moscou et Beijing. Nonobstant et fort curieusement, l’UE doit rester un « satellite » et militairement soumis de Washington, même en matière d’équipements militaires et de financement de son occupation. Notre auteur est persuadé que la sortie éventuelle des EUA de l’Europe provoquerait inéluctablement l’entrée de la Chine en UE. Voici donc une vision particulière de la sécurité européenne !

Le terme « satellite » est utilisé par l’auteur et ce, à juste titre. Il parfaitement justifié par le fait que l’armée américaine est, à l’heure actuelle et depuis 75 ans, représentée en Europe par 62 140 soldats dont 34 602 en RFA et 12 088 en Italie (données 2016). Le nombre de bases américaines de taille variable sur le territoire européen s’élève à 278 dont quelque 170 en RFA et 14 en Pologne. Selon des informations de presse, la présence de soldats américains est, en RFA, nettement plus forte et ce, depuis qu’en novembre 2018, lorsque la chancelière Merkel prononça, avec un accent positif, le terme « véritable armée européenne ». 

Signifie cela qu’il faille envisager un « après l’OTAN » ? Pas nécessairement. L’armée européenne évoquée devrait-elle être armée ou désarmée, restée superarmée et aliée de Washington, s’avérée offensive ou défensive ? Les solutions envisagées ne devraient-elles tenir rigoureusement compte des 5-6 pays membres de l’UE qui se déclarent neutres ou quasi-neutres, et même dénucléarisés ? A mon sens, les gesticulations françaises n’ont qu’un caractère symbolique : l’OTAN serait en « mort cérébrale », dit-on dans le pays le plus américanophile d’Europe. 

Conditions propices à une armée européenne à la Merkel

La chancelière Merkel soutient ainsi l’idée d’une « armée européenne », qui « complèterait » l’OTAN. Ursula von der Leyen comme présidente de la Commission européenne en fait autant. Or, dire que compléter l’OTAN signifierait que cette dernière n’assure pas ou plus la sécurité et la défense européenne. C’est en quoi, je suis bien convaincu. Mais, ces déclarations allemandes, Washington les a fort bien comprises. Ses forces militaires augmentent incessamment en RFA et en Belgique. 

Une armée européenne soulève un grand nombre de questions chez les opposants de l’OTAN autant que chez les pacifistes ordinaires. Les unes veulent créer des conditions propices à une telle armée. Tandis que d’autres proposent de débattre une sécurité de l’Europe sans entamée celle d’autres entités et une défense véritablement propre et adaptée à la sécurité à définir de l’UE. Sans doute, avec le Brexit, les débats peuvent devenir plus sereins et efficaces du point de vue européen, encore qu’il renforce sa proximité stratégique à Washington. 

Dans cette optique, une toute première étape est, de l’évidence, de transformer l’UE en une « zone exempte d’armes nucléaires », donc sans armements et bombe nucléaires3, ni d’équipements annexes tels que des avions comme le F 354. Pour les étapes suivantes, on a des choix à faire quant à la chronologie des mesures à prendre en Europe :

  • Abandonner les projets d’acquisitions tels que l’achat des F 35, quitte à payer quelques indemnités aux entreprises multinationales impliquées. 
  • Réduire des effectifs militaires progressivement, en réutilisant des compétences multiples au sein de l’armée dans d’autres domaines.
  • Proscrire du déploiement de nouvelles armes nucléaires dont les « B 61-12 » destinées notamment à Kleine Brogel belge.
  • Interdire des bases militaires étrangères en UE, tout en gardant celles qui sont nationales et européennes. Pour commencer, contrôler les activités de ces bases et les fondements juridiques permettant au gouvernement du pays de rompre l'accord qui les concerne avec les EUA depuis des décennies.
  • Prohiber des interventions militaires à l’étranger, exceptées celles qui sont acceptées ou proposées par l’ONU et qui sont autorisées par les pays concerné et par l’UE.
  • Progressivement limiter le commerce des armes, en tenant compte des interventions autorisées et du temps nécessaires à la reconversion des entreprises concernées. Des entreprises à maintenir doivent être nationalisées ou européanisées afin de garantir le contrôle strict du pouvoir législatif. Etc.

Ce n’est pas notre option de base mais elle peut bien préparer les esprits pour aller plus loin ! Il en existe des alternatives.

Quelle défense, pour quelle sécurité européenne ?

Définir la sécurité est une tâche compliquée et complexe. Chacun de groupements humains développe des sentiments de sécurité dominants variés. La démocratie n’épuise pas tous ses aspects dans un contexte du capitalisme. La mobilisation, la lutte et la formation y restent indispensables. Dans une deuxième étape, on pourrait relancer à titre d’alternatives (1) des traités internationaux en matière de désarmements, d’essais nucléaires, des limitations d’armements, etc., (2) une diplomatie de paix en Europe et dans d’autres parties du monde, ainsi qu’à l’ONU, (3) le débat sur le positionnement de l’UE dans le « concert des grandes puissances » afin que l’UE choisisse la meilleure formule possible : développer la force nucléaire et la dissuasion qui en fait partie ; rechercher la paix ± armée ; élaborer et négocier un réseau d’alliances multilatérales à l’Est comme à l’Ouest pour garantir une paix équilibrée et durable à l’UE ; (4) étudier la possibilité de choisir une position neutre ou neutralisée de l’UE, armée ou fort désarmée ; (5) les négocier avec « qui de droit » : à présent, aucune position de neutralité n’est concevable sans l’accord des « grandes puissances » mais qui peut bien les arranger. Etc.

Progressivement et simultanément

  • L’OTAN étant inutile, sera à supprimer.
  • Le débat pourrait se développer en ce qui concerne la sécurité véritable et la défense européenne adaptée. L’armée telle que nous la connaissons serait utile à consulter. On trouve beaucoup de pacifistes parmi les officiers : ils savent ce que c’est tuer et être tués.
  • Les quelques 2 millions de soldats en Europe sont à désarmer graduellement au moins pour la moitié et ce, dans le respect des droits humains. Sans doute et à supposer qu’elle soit maintenue jusqu’à un certain point, la force militaire devra exclusivement être défensive (pas de F 35 par exemple) et ne viser que des mesures de maintien de la paix sur le plan international et ce, avec l’accord de l’ONU et de l’UE.
  • La reconversion progressive des entreprises qui exportent massivement des produits militaires doit s’opérer. Etc.

Notes

1. Pierre GALAND, Otan : la Belgique doit limiter la course et le commerce des armements, La Libre Belgique, 25.11.2019.
2. Philip STEPHENS, Crisis, what crisis? The US needs Nato as much as ever, in: Financial Times, 5.12.2019.
3. Le cas de la France nucléarisée reste un problème à résoudre.
4. Sénat de Belgique : Proposition de résolution relative à la dénucléarisation de la Belgique, déposée par Bert Anciaux, 3 octobre 2019

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