Alerte Otan n° 4 - Février 2001
L'usage de l'uranium appauvri est un crime contre l'humanité

L'uranium appauvri (UA) est un métal quasi pur constitué de 99,8 % d'uranium 238 et de 0,2 % d'uranium 235. Il constitue, à l'état de fines particules susceptibles d'être inhalées, un élément (métal) ou une substance (oxyde d'uranium) doublement toxique, d'abord sur le plan chimique en tant que métal lourd (comparable au plomb) et ensuite sur le plan radiologique en tant qu'émetteur de particules alpha.

Cet uranium appauvri, plus ou moins acceptable à l'état de métal compact, devient , après pulvérisation et oxydation, comparable à un gaz toxique comme l'ypérite utilisé dans les Flandres pendant la guerre 14-18. L'UA provoque des lésions irréversibles au niveau des poumons, du foie, des reins et des os. En outre, les poussières d'UA inhalées constituent une source de radiations ionisantes fortement cancérigènes pour les cellules de proximité ; les rayons alpha peuvent être des dizaines de fois plus destructeurs que les rayons X. Contrairement aux pollutions chimiques temporaires causées par les bombardements, la contamination par l'uranium persiste pendant des dizaines d'années. On peut également présumer que les vaccins douteux injectés aux militaires auront des effets moins rémanents que l'UA (selon le Service de Santé de l'armée, les militaires belges n'en n'ont pas reçus).

L'usage délibéré de ce type de munition sur le champ de bataille constitue donc un crime de guerre car l'UA, à l'instar d'une arme chimique, provoque chez le militaire contaminé des dommages irréparables qui "aggravent inutilement la souffrance des hommes mis hors de combat" ( Déclaration de St.-Petersbourg de 1868). Il devient urgent que les juristes se penchent sur cette question afin de confirmer s'il y a bien crime de guerre. L'usage de l'uranium appauvri est très probablement un crime contre l'humanité car la dispersion des poussières sur des dizaines de kms² en fait une arme non discriminatoire qui affecte directement les civils et l'environnement.

Depuis de très nombreuses années, les armées américaine et britannique utilisent des obus à perforateurs d'UA lors d’exercices de tir d'artillerie au cours de manœuvres dans différentes régions, non seulement sur le territoire national mais aussi à l'étranger (Okinawa, Porto Rico, Allemagne,…). Des tonnes de particules toxiques d'UA ont été dispersées au Koweït, en Irak, en Arabie Saoudite, en Bosnie, en Serbie, au Monténégro et au Kosovo malgré les avertissements de certains responsables du Service de Santé de l'Armée américaine. En Irak des dizaines de soldats américains ont été tués et blessés par des tirs fratricides à uranium appauvri. Des membres du Service de Santé ont même été gravement contaminés suite aux soins apportés, sans précautions pour le personnel soignant, aux blessés par UA. Ce fait en lui-même constitue une preuve de la dangerosité de l'UA.

L'uranium appauvri affecte principalement l'environnement et donc les civils, spécialement dans les régions désertiques où le vent agit directement sur la dispersion des particules. Les taux de leucémies et de cancers ont augmenté dans le sud de l'Irak (Bassora) de façon très significative. Les ordres de grandeur varient largement et dépassent dans certains cas les 2 et 300%. On dispose de très peu d'informations concernant la Bosnie bien que des pathologies cancéreuses y soient en augmentation, selon les médecins qui se sont rendus sur place. Au Kosovo plusieurs tonnes de particules contaminent la partie méridionale du pays. De nombreux journalistes ont vu des enfants jouer sur les chars serbes endommagés et nécessairement contaminés. Aucun périmètre de protection n'avait été prévu, ni par les troupes d'occupation, ni par les missions humanitaires, ni par les responsables de l'OSCE, bien que dans certaines unités militaires le port du masque à gaz ait été de rigueur dans certaines zones.

Il semble donc que l'usage de l'uranium appauvri constitue un crime contre l'humanité si l'on prend en compte son caractère non discriminatoire et environnemental ainsi que la santé future des habitants et de leurs descendants. L'OTAN refuse la proposition de moratoire faite par le président de l'Union européenne. Il est à craindre que l'Agence Internationale de l'Énergie Atomique (AIEA), chargée d'étudier la question, se retranche prudemment derrière des considérations favorables à la métallurgie de l'uranium. Ces organismes internationaux se contenteront d'avis techniques sans entrer dans des considérations de Droit international et encore moins dans le concept de crime contre l'humanité.

Comment aurait réagi le monde occidental si Saddam Hussein avait envoyé des missiles chargés d'aérosols de déchets nucléaires en Israël? Il aurait été accusé, à juste titre, de crime contre l'humanité. Les Anglais ont échappé à cette condamnation quand ils ont déversé, à titre expérimental, des centaines de kilos de plutonium sur les territoires des aborigènes australiens. Il en fut de même pour les Américains après Hiroshima et Nagasaki. Aujourd'hui de nombreux pays possèdent des munitions à UA. Selon certaines sources 44 pays se seraient procurés ce type d'arme dont certainement la Grande Bretagne, la France et plusieurs autres membres de l'OTAN. Si ces pays devaient persister à ne pas détruire ces munitions, ils deviendraient automatiquement des criminels de guerre et des criminels contre l'humanité, en puissance.

Le gouvernement belge, à l'époque du Ministre de la Défense Poncelet, aurait refusé l'achat d'obus à UA. Monsieur Flahaut pourrait-il confirmer les déclarations écrites de son prédécesseur ? Que feraient nos militaires, lors d'une prochaine guerre déclenchée par l'OTAN, si le commandement intégré américain donnait l'ordre d'utiliser ce type d'arme ? Le Ministre répondra-t-il qu'il observera le droit international régissant les conflits ? Dans ce cas, vu le vide juridique, nos militaires exécuteront les ordres et seront complices de crimes de guerre (selon le tribunal de Nuremberg) en oubliant, en outre, le droit international qui régit la protection de l'environnement.

Le problème de l'UA n'est pas une question d'opinion publique mais bien de santé, d'environnement et de droit des conflits armés. Nier la double toxicité de l'UA est une escroquerie scientifique.

Pierre Piérart