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Les racines kosovares du conflit ukrainien

Georges Berghezan
1 mai 2024

Le 24 mars 1999, quand débutait la campagne de frappes aériennes contre la République fédérale de Yougoslavie (RFY, composée de la Serbie et du Monténégro), l’OTAN brisait le fragile équilibre en vigueur depuis la fin de la guerre froide. En effet, par cette agression caractérisée contre un Etat qui ne les menaçait nullement, les puissances occidentales se sont affranchies des règles du droit international d’une double manière. D’une part, la « guerre du Kosovo » n’a pas été autorisée par le Conseil de sécurité de l’ONU, seule instance habilitée à autoriser une intervention armée extérieure. D’autre part, comme il apparut bientôt, le but de cette guerre, présentée comme « humanitaire », était d’amputer un Etat souverain d’une partie de son territoire, ce qui fut officialisé en 2008 par la proclamation d’indépendance du Kosovo, encouragée, voire organisée, par la plupart des puissances occidentales.

Ce mois de mars 1999 connaissait également le premier élargissement de l’OTAN depuis 1982, avec l’incorporation de trois anciens membres du Traité de Varsovie (Hongrie, Tchéquie, Pologne) à l’Alliance atlantique, en flagrante violation de la promesse faite à Gorbatchev en 1990 par plusieurs responsables occidentaux, dont James Baker, Secrétaire d’Etat des États-Unis, qui lui avait garanti que l’OTAN ne s’étendrait « pas un pouce vers l’est »1.

Les mises en garde de Moscou ignorées

Si la guerre a permis à Washington de réaffirmer son rôle de leader sur ses vassaux européens et de gendarme planétaire, elle a sérieusement mis à mal ses relations avec Moscou qui a soudain réalisé que le droit international ne constituait pas un garde-fou pour ses partenaires occidentaux. Malgré la « thérapie de choc » et l’effondrement de son niveau de vie imposés par le régime de Boris Eltsine, la population russe conservait jusqu’alors certaines illusions à propos de la bienveillance occidentale à son égard. En bombardant pendant 78 jours un « pays-frère », majoritairement slave et orthodoxe ainsi qu’allié durant toutes les guerres des XIXe et XXe siècles, l’OTAN est clairement apparue comme une puissance hostile à la majorité des Russes2. Dans la foulée, un Eltsine totalement discrédité nommait en août 1999 Vladimir Poutine à la tête de son gouvernement et lui laissait le fauteuil présidentiel neuf mois plus tard. Parallèlement à un spectaculaire redressement économique, Moscou commençait à manifester ouvertement ses inquiétudes face à l’unilatéralisme des États-Unis.

Mais Washington n’avait cure de ces avertissements, envahissant tour à tour l’Afghanistan et l’Irak. Bien que quelques pays européens aient condamné ce dernier coup de force, celui-ci a encore approfondi la méfiance de Moscou envers le camp occidental. Le nouvel élargissement de l’OTAN de 2004 – sept nouveaux membres, dont trois républiques ex-soviétiques – était ouvertement dénoncé par la Russie comme une menace à sa sécurité. Dans son fameux discours de Munich de février 20073, Poutine n’hésitait plus à dénoncer l’extension de l’OTAN et plaidait pour une sécurité « universelle et indivisible », un concept à peu près incompréhensible pour les dirigeants occidentaux. Mais il ne faisait plus de doute que l’idylle est-ouest était enterrée.

Réponse du berger à la bergère

Après la proclamation de l’indépendance du Kosovo en février 2008 et sa reconnaissance immédiate par la majorité des membres de l’OTAN, en violation de l’accord qui avait mis fin à la guerre de 19994, Moscou a montré qu’elle n’entendait plus en rester au stade des protestations verbales. Quelques mois plus tard, en août, la riposte russe se précisait : attaquées par les forces du pouvoir central, deux régions sécessionnistes de Géorgie – l’Abkhazie et l’Ossétie du Sud – faisaient appel à l’armée russe qui repoussait les assaillants, tandis que le Kremlin reconnaissait l’indépendance de ces deux entités.

Si le sort de la Serbie et du Kosovo a montré à la Russie (et au reste du monde) que l’Occident privilégie le « droit du plus fort », il est bien compréhensible que Moscou ne pouvait tolérer les manœuvres d’encerclement menées par l’OTAN. En avril 2008, le sommet de Bucarest décidait que deux autres républiques d’URSS, l’Ukraine et la Géorgie, « deviendraient membres de l’OTAN » à une date non précisée. Si l’élection de Viktor Ianoukovytch à la présidence ukrainienne en janvier 2010 a provisoirement mis sous le boisseau ce projet d’otanisation du pays, il a été totalement relancé lors de son renversement en février 2014, à l’occasion des événements de Maidan, suivis de l’émergence d’un pouvoir russophobe et pro-occidental. La suite est connue : annexion de la Crimée où la Russie concentrait la plus grande partie de sa flotte, soutien aux insurgés du Donbass, accords de Minsk tronqués, et la guerre actuelle.

Les objectifs de guerre avancés par Moscou – dénazification, démilitarisation, soutien aux russophones d’Ukraine – sont certainement secondaires par rapport à la « ligne rouge » majeure qui est d’éviter une nouvelle extension de l’OTAN. Une adhésion de Kiev entrainerait le déploiement de troupes et d’armements occidentaux sur plus de 1500 kilomètres de la frontière russe. Les méthodes choisies par la Russie sont pour le moins discutables, mais le bloc occidental, qui use et abuse de ces méthodes depuis la campagne de bombardements contre la RFY il y a vingt-cinq ans, est particulièrement mal placé pour les critiquer.

 

1.  M. E. Sarotte, Not One Inch. America, Russia, and the Making of Post-Cold War Stalemate, The Henry L. Stimson Lectures Series, Yale University Press, 30 novembre 2021.
2. Roman Shumov, Ruins of Yugoslavia: How Russia learned that NATO poses a threat, Russia Today, 24 mars 2024.
3. Vladimir Poutine, Discours du président russe sur la sécurité, Perspective Monde, 10 février 2007.
4. Résolution 1244 (1999), adoptée par le Conseil de sécurité à sa 4011e séance, Nations Unies, 10 juin 1999.

Georges Berghezan
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