Le Traité de Non Prolifération, privilège discriminatoire des puissances nucléaires

Pierre Piérart
30 juin 2008

La prolifération nucléaire a débuté en mai 1942 avec le projet Manhattan qui a mis au point la bombe atomique en vue de dissuader les Allemands de fabriquer ce type d’armes de destruction massive. Avec une guerre froide rampante, vers la fin du 2ème conflit mondial cette bombe est devenue une bombe offensive qui a eu pour conséquence les tragédies de Hiroshima et Nagasaki. Malgré ces crimes de guerre, les Américains durent accepter la collaboration soviétique et le maintien de la monarchie de l’Empire du Soleil Levant pour mettre fin à la guerre.

Avec la persistance de la guerre froide, le nombre d’essais nucléaires de la part des Américains et des Soviétiques, n’a cessé de croître au gré de circonstances (un exemple parmi d’autres :1962 - 96 essais américains et 72 essais soviétiques). La pollution atmosphérique avait atteint un tel degré que N. Kruschev et J. Kennedy (suite également à la très grave crise de Cuba) vont, en trois semaines de discussions, signer, le 5 août 1963, au Kremlin, un traité partiel d’interdiction des essais nucléaires (PTBT - Partial Test Ban Treaty) qui n’autorisait plus les essais dans l’atmosphère, dans l’espace et sous l’eau.

L’idée d’un traité de non prolifération va débuter très rapidement avec les protestations du tiers- monde et aboutit en 1965 à une proposition de l’Assemblée générale des Nations Unies en vue d’un traité pour mettre fin à l’arme nucléaire. Cette proposition prendra forme le 1er juillet 1968, quand les Américains, les Soviétiques et les Anglais signeront un Traité de Non Prolifération (NPT) respectivement à Washington, à Moscou et à Londres. Ce traité est déjà discriminatoire vis-à-vis des Français et des Chinois qui s’étaient entretemps aussi dotés de la bombe atomique respectivement en 1960 et 1965.

Le TNP, entré en vigueur le 5 mars 1970, pour 25 ans, prévoit des révisions tous les cinq ans. Ces révisions n’ont pas amélioré la situation jusqu’en 1995, malgré le traité d’arrêt partiel des essais nucléaires de 1963, le Traité Antimissiles Balistiques (ABM) de 1972 et le traité de 1974 limitant les essais à 150 kilotonnes. La révision de 1995, après la chute de l’Union Soviétique, a prolongé le TNP pour une durée illimitée et les cinq puissances nucléaires se sont engagées à signer et ratifier le CTBT (Traité d’arrêt complet des essais nucléaires) déjà signé (entre autres par B. Clinton) en 1996.

Le TNP est un traité discriminatoire entre les cinq puissances nucléaires et les autres pays, incomplet et imprécis au sujet de la définition de l’arme nucléaire et de l’entreposage de cette dernière et insuffisant par manque de sanctions. Les Etats-Unis violent l’article I du TNP qui interdit à une puissance nucléaire de transférer ce type d’armes ou le contrôle de celles-ci, dans un pays qui n’en est pas doté. Pour ce dernier, l’article II interdit d’accepter un tel transfert. Malgré ces interdictions les Etats-Unis ont transféré de nombreuses armes nucléaires à plusieurs pays membres de l’OTAN. Encore aujourd’hui, malgré une diminution substantielle de leur nombre en Europe, l’Allemagne, la Belgique, l’Italie, les Pays-Bas et la Turquie ont été contraint de maintenir des bases aériennes avec des abris pour bombes à gravité de type B-61.

En 1996 la Cour internationale de Justice de La Haye, présidée par le juge Mohammed Bedjaoui, a décrété que l’arme nucléaire était illégale. Le juge Bedjaoui déclare en outre que l’arme nucléaire constitue un grand défi à l’existence même du droit humanitaire, il souligne que la Cour, à l’unanimité, rappelle aux puissances nucléaires « l’obligation de poursuivre de bonne foi et de mener à terme des négociations pour un désarmement nucléaire ».

La 6ème révision en 2000 a été relativement fructueuse, avec la présentation par la NAC, Coalition d’un Nouvel Agenda (constituée par la Suède, l’Irlande, le Mexique, le Brésil, l’Egypte, l’Afrique du Sud et la Nouvelle Zélande), d’une proposition de désarmement nucléaire mondial total et programmé dans le temps.

En 2001, avec l’arrivée du président Bush, la politique américaine se radicalise avec le refus de ratifier le CTBT, le retrait du Traité ABM (signé en 1972 par R. Nixon et L. Brejnev), la reprise de la production de matières fissiles et une accélération du programme anti-missiles (guerre des étoiles). Du côté français on continue le programme Mégajoules et la préparation de nouveaux missiles M 51. Cette nouvelle politique explique pourquoi la révision de 2005 a été catastrophique, vu qu’aucune décision n’a pu être prise.

Dans de telles circonstances on se demande avec une certaine angoisse, comment se déroulera la prochaine révision de 2010. En effet les Etats-Unis veulent installer 10 missiles intercepteurs en Pologne et un radar de détection en Tchéquie pour compléter un dispositif global existant déjà en Alaska, en Californie, au Groenland et en Grande-Bretagne. D’autre part l’OTAN s’étend vers l’Est et se rapproche des frontières russes avec l’installation de bases en Roumanie et en Bulgarie. La riposte de la Russie ne s’est pas faite attendre ; son représentant à l’ONU a évoqué le recours à la force militaire si l’Union Européenne continue à adopter un consensus de vassalité à l’OTAN. Cette nouvelle guerre froide latente ne présage donc rien de bon pour la prochaine révision.

La position de la Belgique, comme celle des autres membres de l’OTAN et membres de l’Union Européenne, est inqualifiable. En effet, depuis de nombreuses années, le ministre belge des Affaires étrangères vote de façon ambigüe à l’Assemblé générale des Nations Unies sur les 12 questions concernant le désarmement nucléaire. Parmi les 5 ou 6 refus à un désarment nucléaire figure celui de suivre l’avis de la Cour internationale de Justice de La Haye, avec, comme seule excuse, la solidarité entre les membres de l’OTAN. Quant à l’Union Européenne, elle se tait, aussi bien au niveau du Parlement européen, que de la Commission et du Conseil des chefs d’Etat, où figurent, d’ailleurs, deux puissances nucléaires, la Grande-Bretagne et la France qui continuent à se doter de nouvelles armes nucléaires. Quant à notre ministre actuel des Affaires étrangères, K. De Gucht, on ne doit pas s’attendre à un changement de position, vu ses intentions beaucoup plus belliqueuses que celles de son prédécesseur. Son collègue de la Défense concrétise cette politique de soumission à l’OTAN en accélérant la conversion de l’armée belge en vue d’opérations « humanitaires » hors Europe !

Le Traité de Lisbonne ne dit pas un mot concernant ce problème de désarment nucléaire. Le sociologue Jean-Claude Paye, dans un article consacré à ce Traité paru dans La Libre Belgique du 23 juin 2008, déclare que « cette constitution n’a pas pour objet d’unifier la diversité des populations de l’ancien continent, mais simplement de faire écran au réel : de marquer le fait que l’Europe n’existe que par son insertion dans une structure politique globalisée, placée directement sous souveraineté américaine ».

Espérons vivement que les représentants de la diplomatie européenne, et spécialement les représentants européens de l’OTAN, voteront enfin à l’Assemblée générale des Nations Unies en faveur du suivi de la Cour internationale de La Haye, qui déclare l’arme nucléaire illégale. Cette prise de position éviterait que la révision du TNP de 2010 ne soit encore plus catastrophique que celle de 2005.