Entretien avec Oliver Ivanovic, Mitrovica


14 août 2004

Cet entretien avec Oliver Ivanovic, député serbe au parlement de Pristina, également membre de la présidence du parlement, s'est déroulé à Mitrovica le 14 août 2004. Mitrovica est une ville divisée, peuplée d'Albanais dans sa partie sud et surtout de Serbes dans sa partie nord. Elle est la seule entité urbaine du Kosovo où des Serbes ont pu se maintenir. Quelques semaines après cet entretien, Ivanovic devenait le principal responsable serbe du Kosovo à appeler sa communauté à voter lors des élections parlementaires du 23 novembre. Malgré son appel, relayé par le président de Serbie Tadic, plus de 99 % des Serbes du Kosovo ont préféré boycotter le scrutin, comme le préconisaient le gouvernement de Belgrade et l'église orthodoxe.


Olivier Ivanovic (photo G.B)

Pouvez-vous nous parler des changements à Mitrovica depuis mars 2004 ?

Il y a eu surtout des changements dans la communication entre la communauté internationale et la communauté serbe. On nous écoute avec plus d'attention. Je vais mentionner quelques exemples : trois jours avant les événements de mars, un sous-secrétaire des Nations Unies est revenu de Pristina avec une excellente impression de la situation. Au retour, il s'est exprimé devant le Conseil de sécurité de l'ONU et son rapport était excellent. Il parlait du bon fonctionnement des institutions, de la bonne qualité des relations, de l'absence de violences, etc. Vous pouvez imaginer le sentiment des membres du Conseil de sécurité lorsqu'ils ont lu ce rapport et lorsqu'ils ont entendu ce qui se passait au Kosovo. Un autre exemple c'est lorsque M. Solana est venu environ un mois avant les événements de mars, nous avons eu un entretien avec lui, mais je pense qu'il ne nous prenait pas au sérieux. Il ignorait ce qu'on disait, bien sûr il était très poli, mais il ne réalisait pas que nous parlions de la réalité, il pensait que c'était une tactique politique, mais pas l'exacte description de la réalité. Après le 17 mars, Solana est revenu et je peux vous dire que ces nouveaux entretiens furent totalement différents de ceux que nous avions eus avant mars. Enfin nous avons eu une réunion avec l'OTAN ici, et là aussi, l'attitude a été totalement différente d'avant les événements de mars. Tout ce que nous disions avant mars était totalement ignoré et perçu comme des informations subjectives sans consistance. Après mars, nous n'avions plus qu'à rappeler ce que nous avions dit depuis longtemps et qu'ils pouvaient lire dans leurs notes.

Le point qui ressortait c'est que les Albanais avaient perdu leur position de victimes. Ils n'étaient plus des victimes et il était devenu clair qu'ils voulaient se débarrasser tous les membres des autres communautés. Je ne peux que regretter les destructions, mais je pense que la communauté internationale a compris que sa politique vis-à-vis des Serbes était mauvaise.

Mais d'un autre côté, la KFOR (forces sous commandement OTAN) et la MINUK (administration de l'ONU) ont perdu leur crédibilité ?

Oui, mais la MINUK a toujours été une institution avec un parti pris pro-albanais. Ils écoutaient toujours beaucoup plus la version albanaise de l'histoire, la MINUK cherchait toujours à comprendre les motivations de la violence albanaise, pourquoi ils attaquaient les Serbes. Au fondement de toutes ces violences, il y avait une manière de penser que la violence et les armes permettent de tout obtenir. Après les événements de mars, la MINUK a réalisé ce fait. Le deuxième élément qui a permis ce qui s'est produit, c'est que les délégations qui travaillent à Pristina communiquent tous les jours avec les Albanais, mais jamais avec les Serbes, ou alors juste par hasard. La seule place où les Serbes peuvent agir sur leur avenir, c'est à Mitrovica et nous avons dû lutter pour ça. Le pont, c'est notre seul moyen de survivre. Aujourd'hui nous pouvons dire que notre position est stabilisée ici. De nombreuses personnes sont revenues depuis 1999. Notre position, ici, est importante parce que nous avons la possibilité d'exprimer le point de vue de la communauté serbe. Les Serbes des petites enclaves ont peur des Albanais, mais aussi de la communauté internationale. Pourquoi ont-il peur de la communauté internationale ? Le problème est que les représentants de la communauté internationale n'aiment pas qu'on critique leur travail, il faut que tout soit beau et bon, pour envoyer des rapports favorables à New York. Si leurs rapports sont bons, ils améliorent leur position personnelle. Si la situation apparaît comme mauvaise, à New York on va leur reprocher de ne pas faire du bon travail. Pour que les Serbes aient une bonne communication avec la MINUK, ils doivent "fermer leur gueule". Parce que, si les Serbes ne sont pas contents, la MINUK va leur dire : OK, alors on ne va plus venir à Mitrovica, on ne vous donnera plus d'aide pour le transport à l'hôpital ou ailleurs. C'est du chantage. Pour résister au chantage, nous avons demandé, par exemple, aux autorités de Belgrade un raccordement au réseau téléphonique en Serbie. Nous avons été coupés du téléphone du Kosovo, en guise de punition ! La MINUK nous a dit : assimilez-vous aux Albanais, oubliez que vous êtes Serbes, oubliez Belgrade, n'écoutez que Pristina et c'est tout.

C'est aussi un chantage pour obtenir l'ouverture du pont ?

Ils ont besoin des Serbes, mais ils veulent des Serbes soumis, qui suivent les instructions et qui n'exigent rien. Nous ne voulons pas n'importe quelle vie, nous voulons une vie de qualité. /.../

(Le nouveau gouverneur du Kosovo) Soren Jessen-Petersen va venir demain et nous avons une rencontre ce lundi.

Va-t-il rester plusieurs années à ce poste ?

Je ne suis pas sûr qu'il puisse tenir longtemps, cette place est très difficile. Il a toujours été dans l'ombre de Steiner, puis d'Holkeri (prédécesseurs de Jessen-Petersen). /…/

Après les événements de mars, les autorités du Kosovo ont fait des promesses. Les ont-elles tenues ?

Pour les églises, il n'y a pas d'argent. Pour les maisons, le problème est que les dépendances détruites, les poulaillers, les granges, etc., ne seront pas réparées. C'est une innovation de ce ministère qui a décidé de ne pas donner d'argent pour ce type de réparation, rien pour les magasins, uniquement les locaux d'habitation. L'autre problème, c'est les écoles, les dispensaires, les offices postaux, qui ne seront pas réparés. Si on veut que les gens retournent, il faut qu'ils puissent vivre, au moins comme ils vivaient avant mars.

Ce qui est prévu pour les églises, c'est 3,5 millions d'euros, ce qui est insuffisant pour une seule église. Pour le seul monastère de Prizren, il faudrait 3.8 millions d'euros. Les peintures de ces églises, c'est extrêmement coûteux à restaurer.

Est-ce que des maisons serbes ont été occupées par des Albanais depuis mars ?

Non, les maisons ont été brûlées et détruites, aucune n'a été occupée. Ce n'était pas une opération économique cette fois, c'était planifié. En 1999, c'était un nettoyage ethnique clair, les maisons avaient été en partie incendiées et en partie occupées. En mars, ce sont aussi des églises qui ont été brûlées. En 1999 des églises et les cimetières avaient été saccagés, mais en mars les cimetières n'ont pas été saccagés. Les événements de mars étaient très bien organisés. Si vous regardez où les attaques ont eu lieu, c'est toujours le long de chemins de fer ou des voies de communications. C'était un plan militaire, ce n'était pas un plan créé au hasard, il y avait une préparation militaire. Lipljian, Novo Naselje, Kosovo Polje, Obilic, Plemetina , Svinjare, toujours le long du chemin de fer. La seule voie de communication sécurisée entre le centre et le nord. Une autre direction , Lipljian, /../, Laplje Selo, Bajnska, Zlatina, c'est la route de Pristina à Prizren. A Prizren, il y a eu probablement un autre motif : la ville est très ancienne, et dans le centre de Prizren il y a beaucoup d'églises, 6 églises concentrées dans un quartier. Il y avait de nombreux bruits annonçant le retour de Serbes. De même qu'aux environs de Pec, où toutes les maisons reconstruites ont été à nouveau brûlées. Je pense qu'à Prizren c'était un signal pour que les Serbes comprennent qu'ils ne devaient pas revenir. Mais il y a aussi une autre raison, il y a quelques mois, avant les événements de mars, les églises ont été mentionnées comme des lieux de domination serbe, historiquement, mais également il y avait de nombreuses discussions en vue du statut final du Kosovo, visant à donner aux églises un statut d'extraterritorialité, au même titre que des ambassades. A Prizren, avec un tel statut pour les églises, c'est toute la veille ville qui serait extraterritoriale. C'est mon hypothèse pour les églises brûlées, car en 1999 ils n'avaient pas brûlé les églises.

Question sur la reconstruction de maisons à Svinjare

J'étais à Svinjare, il y a trois semaines. Sept maisons avaient été reconstruites, et 35 maisons étaient en reconstruction. 118 ou 120 maisons peuvent être terminées rapidement parce qu'il était question de finir pour le mois de septembre et c'est possible qu'ils parviennent à terminer pour la fin de l'année.

Nous avons eu la visite de représentants des églises des Etats-Unis qui ont promis de contribuer à la réfection d'une église. Il y a deux monastères importants, Devic et Sveti Arhangeli qui doivent recevoir de l'aide. J'espère qu'une église pourra obtenir l'autorisation d'être reconstruite, parce qu'il faut non seulement le financement, mais il faut aussi assurer la sécurité. Je pense que 3,5 millions sont suffisants pour la conservation, et les infrastructures complémentaires qui doivent être prises en compte pour que les églises puissent tenir leur rôle social, salles de réunion, etc.

Et au sujet du quartier rom de Mitrovica, la mahala ?

Après les événements de mars, nous n'avons plus parlé de reconstruire le quartier rom de la rive sud de Mitrovica. J'étais fortement en faveur de la reconstruction ce quartier. Elle n'est qu'à cent mètres de la rivière, elle est facile à construire, à sécuriser, à protéger. Le problème est qu'il n'y a pas de volonté de la part de la communauté internationale, ils peuvent dire ce qu'ils veulent, mais il n'y a pas de volonté car s'ils voulaient protéger ce quartier, ce serait facile de le faire. Je faisais une plaisanterie d'humour noir, je leur demandais : avez-vous tué quelqu'un pour protéger des maisons ? Non, alors de quoi parle-t-on ? C'est la loi de la jungle, si personne n'est arrêté et inculpé, tout est permis. Il n'y pas de volonté claire et concrète, pas seulement verbale. C'est possible de le faire. Malheureusement nous, la communauté serbe, nous n'avons aucune chance d'aider les Roms, nous n'avons pas l'argent. Nous aurions pu contribuer, il y a quelques années avec le Centre de coordination pour le Kosovo, mais il n'y avait pas de soutien de la communauté internationale. Maintenant, nous avons moins d'argent que jamais, et nous ne pouvons même plus contribuer au retour des Serbes.

Est-ce que vous pensez que rien n'a été fait parce que c'était un quartier rom ? Pensez-vous que si c'était un quartier serbe, ils auraient fait quelque chose ?

Pour être clair, ils ne s'occupent pas des Roms. Ils utilisent les Roms de temps en temps comme un joker pour dire qu'ils sont multiethniques. Les Roms n'ont pas de leader puissant qui va crier, se battre pour eux et c'est la principale raison pour laquelle ils n'ont rien obtenu jusqu'à présent. Je ne peux pas représenter les Roms, ce n'est simplement pas mon devoir, ce n'est pas ma responsabilité, je n'ai pas été élu pour ça, je ne suis pas autorisé à le faire. Pourtant je le fais de temps en temps, j'encourage les gens à aller leur rendre visite. Mais ils n'ont pas une revendication unique, certains veulent retourner, d'autres pas. La communauté internationale ne perçoit pas une voix unique de la part des Roms et elle reporte le sujet.

Les Roms font souvent la promotion du point de vue albanais Lorsque que j'étais invité par la communauté internationale, nous nous sommes demandés si les Roms devaient nous accompagner, ce qui serait logique puisqu'ils sont aussi persécutés. Mais je n'ai pas voulu parce qu'ils auraient renforcé la position albanaise. Ils utilisent le langage des Albanais parce qu'ils les craignent. Ils ne donnent pas le point de vue rom. Je leur dis toujours : «vous ne tenez pas votre rôle et vous risquez d'être exclu du jeu». Nous sommes les deuxièmes partenaires, nous ne sommes plus beaucoup, mais les Albanais savent qu'ils doivent composer avec les Serbes. Les Roms doivent lutter pour leurs intérêts, ni pour les Albanais, ni pour les Serbes.

Pour un siège au Parlement, il faut entre 7.000 et 8.000 voix, et il y a 3 élus Roms, je crois que 2 ont été nommés et le 3 ème a été élu, mais ce n'est pas si clair.

Est-ce que vous êtes en faveur de la participation aux élections (parlementaires de novembre) ?

Je ne peux pas simplifier la réponse à cette question. La première raison pour participer, c'est que je ne veux pas être nommé par la MINUK ou autre, je dois être élu pour être représentatif de ma communauté. L'autre raison, c'est que nous allons avoir des débats très importants en 2005, 2006 et 2007. Ces débats vont nécessiter un engament politique maximum et nous ne voulons pas que notre participation se fasse par nomination. J'ai dit à plusieurs occasions que si j'étais nommé pour participer à ces débats, je n'accepterais pas sans avoir été élu au préalable. L'autre condition pour participer à ces débats, c'est d'avoir le soutien total du gouvernement (de Belgrade) . Nous sommes tellement isolé que nous ne pouvons pas nous défendre sans le soutien de Belgrade. C'est pourquoi je n'aimerais pas qu'il y ait des divisions à Belgrade sur cette question. A Belgrade, qu'ils choisissent ce qu'ils veulent, mais que ce soit clair. Etre élu démocratiquement, c'est la seule possibilité de disposer d'un rapport de force.

Est-ce que Belgrade soutient cette position ?

Non, pour l'instant le gouvernement serbe est contre les élections. Ils ont de bonnes raisons, puisqu'on a déjà participé sans rien obtenir : rien pour la sécurité, rien pour le retour, rien pour le développement économique. Mais je ne partage pas ce point de vue, car nous avons tout de même obtenu quelques succès, peu visibles et sur le long terme. Vu de loin, on attend des succès immédiats, ce qui est impossible. Je dis toujours que nous sommes une génération sacrifiée, nous le savons tous. Nous ne pouvons que préparer le terrain pour la génération suivante, qui va partir de très bas, mais au moins avec quelque chose.

Le 14 juillet, nous avons fait une déclaration commune, Serbes et Albanais, vous en avez peut-être entendu parler. C'était à l'occasion d'une rencontre entre députés serbes et albanais aux Etats-Unis. Les représentants serbes étaient Dragisa Krstovic , Milorad Todorovic et moi, et du côté albanais, il y avait Ibrahim Rugova, Bajram Rexhepi, Nexhat Daci, Ramush Haradinaj et Hashim Thaçi, qui sont les 5 principaux leaders Albanais. Nous avons fait une déclaration commune qui peut être une bonne base pour la suite : condamnation de la violence, reconstruction des maisons détruites (en mars) avant septembre, mise en place du processus de retour pour toutes les personnes déplacés depuis 1999, mais avec des engagements concrets, et le 4 ème point était la mise sur pied d'un ministère pour le retour des minorités et les droits de l'homme. Une telle déclaration n'aurait jamais été possible, il y a quelques années, mais après le 17 mars et à cause du 17 mars, c'était devenu possible.

Quelle est la valeur d'une telle déclaration ?

Je ne suis pas sûr que Thaçi, par exemple, attache de l'importance à cette déclaration, je ne crois pas à leur sincérité, mais nous avons un papier avec leurs signatures. Cette déclaration est soutenue par le Conseil de sécurité, par l'UE, par l'OTAN et à chaque occasion nous allons la rappeler. Des promesses avaient été faites, mais maintenant nous avons un contrat écrit.

Mais il y a déjà la résolution 1244 qui n'est pas respectée ?

Oui, mais il y a quelque chose qui a changé, surtout parce qu'ils ont perdu le statut de victimes.

Combien de personnes vivent à Mitrovica ?

20.750 personnes vivent à Mitrovica nord. A Zvecan il y a environ 13.000 personnes, toute la région au nord de Mitrovica représente environ 60.000 habitants. Dans cette région, il y a environ 2.000 Albanais, quelques centaines de Roms, je crois environ 600, peut-être plus, environ 400 Turcs et Bosniaques. A Mitrovica (nord) , il y a des Albanais à trois endroits : dans le mahala dite «bosniaque», tout près du deuxième pont, dans les trois tours, ils ont une passerelle pour aller dans le sud de la ville, et un peu plus haut, il y a un immeuble avec environ 150 Albanais, Mikro-Naselije. Dans la mahala bosniaque, il y a aussi des maisons serbes, environ 20 % de Serbes, 10 % de Bosniaques et 70 % d'Albanais. Les Albanais sont libres de leurs mouvements et ont accès au sud, ils n'ont pas besoin d'escorte.

Est-ce que les Albanais peuvent venir ici ?

Ils ne le font pas, ils vont au marché du sud de la ville. Dans l'immeuble mixte (Mikro-Naselije), il y a des Serbes et des Albanais qui vivent ensemble, mais il n'y a pas d'incident, c'est le seul endroit où la population est mixte, mais nous ne faisons pas trop de publicité parce que ça pourrait créer immédiatement des problèmes. Il y a une politique de consensus sur toutes les questions entre les leaders et c'est un bon exemple.

La Mairie est-elle séparée ?

Oui, au nord de Mitrovica, il y a une Mairie mais ce n'est pas la Mairie officielle qui est au sud. Nous espérons parvenir à une décentralisation qui permettrait d'officialiser la Mairie du nord et la séparer de celle du sud. Mitrovica n'est pas isolée. Nous avons environs 6 à 7 000 personnes déplacées à Mitrovica nord, que faire avec ces personnes ? Retourner à Pristina, Prizen, ce serait très difficile... Leurs maisons sont occupées ou détruites, ils devraient vivre sous tente... pour l'instant c'est hors de question, dans quelques années peut-être.

Que pensez-vous de l'action de la KFOR, de la MINUK et la KPS (police locale) ?

Le KPS a perdu tout pouvoir et son rôle est devenu quasi inexistant. La MINUK aussi a perdu sa crédibilité et la KFOR aussi, elle a été totalement débordée lors des événements de mars. Ils n'étaient pas préparés et c'était réellement la panique, ils ont même eu de la peine à sauver leurs données des locaux attaqués. Mais je dois dire, ce que je n'avais jamais dit auparavant, c'est que les Américains ont bien fait leur travail.

Les Américains sont très respectés par les Albanais qui ont peur de perdre leur sympathie. Il y a très peu de soldats américains à Mitrovica. Le commandant de la KFOR de Mitrovica est venu ici pour nous dire que plus rien ne pouvait arriver de pareil maintenant. Je pense que c'est vrai. Il y a aussi le fait que, ici, nous sommes tout de même 20.000 personnes, soit près de 10.000 hommes prêts à se défendre.

Si le commandement n'avait pas été allemand (sous la direction du général Holger Kammerhorf) , ça se serait passé autrement, voici pourquoi : à la différence des Français, les Allemands suivent la voie hiérarchique et suivent les ordres du commandement de l'OTAN, alors que les Français s'adressent directement à Paris. Les ordres étaient de protéger les soldats et la population, pas les maisons. Maintenant, ce serait un peu différent, la KFOR est prête à utiliser ses armes. La responsabilité de la KFOR, ce n'est pas seulement la protection des vies, c'est l'ordre, c'est à dire tout : la propriété, la liberté de mouvement, la vie humaine, tout. Les animaux aussi doivent être protégés, c'est la nourriture…

Quel statut final souhaitez-vous pour le Kosovo ?

Il y a une mauvaise approche ici. Les Albanais ont le sentiment que c'est en discutant avec Bruxelles, Washington, peut être New York, qu'ils vont obtenir l'indépendance. Le sentiment de Belgrade est le même, peut-être en ajoutant Moscou. C'est une erreur. Nous arrivons à la conclusion qu'il faut un accord, pas une solution imposée. Les Albanais veulent l'indépendance et rien d'autre, et la position des Serbes est de rendre le Kosovo à la Serbie. Je pense que les Serbes sont plus flexibles, mais, malgré cette flexibilité, il ne sera pas possible de parvenir à un point d'accord médian. Dans ces conditions, ce n'est même pas nécessaire de s'asseoir autour d'une table et de chercher une solution. Je suis pour un moratoire de dix ans. Deux ans seraient insuffisants. Ce seraient deux ans consacrés à la préparation des négociations, alors que dix ans, c'est suffisamment long pour que l'intérêt se porte sur les réels enjeux économiques, la stabilisation politique, la mise en place d'un Etat de droit, et pour cesser de perdre toute notre énergie pour ce statut final. /.../

Les Américains on fait un marché avec les terroristes, /.../. Il y a une expression : "celui qui joue avec le diable, cela lui retombe sur la tête". A mon avis, la communauté internationale doit adopter un point de vue complètement différent. Les armes ne sont pas la solution. Tuer des civils dans un but politique, c'est du terrorisme, partout dans le monde. Il y a 500.000 armes actuellement au Kosovo. Le désarmement n'est pas suffisant. Les armes ne sont pas la solution, il faut changer les attitudes et il faut changer très vite. D'abord il ne faut pas imposer une solution, ce serait la guerre. /…/

Je sais qu'il y a des Serbes qui pensent que nous pouvons avoir encore la même position qu'avant 1999, mais ce n'est pas dans notre intérêt d'avoir une grande tension avec la majorité albanaise, ce n'est pas favorable, ça nous place sous pression et la conséquence, c'est de défavoriser les minorités. Mes "amis" ne comprennent pas ça, ce n'est pas facile à comprendre. Notre approche doit être différenciée selon les conditions locales. Ce n'est pas pareil au nord de Mitrovica, où nous sommes nombreux et suffisamment puissants pour nous défendre nous-même. C'est complètement différent à Svinjare où ils sont totalement isolés. Ils ont des relations très limitées avec la communauté albanaise, juste ce qu'il faut pour ne pas être attaqués. C'est complètement différent à Banje ou Suvo Grlo , ce sont des petits villages dans les montagnes. A Suvo Grlo, il faut adopter une autre attitude, il y a des Albanais dans une partie du village et des Serbes dans l'autre. Ils doivent travailler ensemble et il faut une approche très coopérative qui doit être protégée. /…/

Pendant les dix ans de moratoire que nous demandons, il faut que la sécurité soit assurée à l'intérieur, mais il faut aussi contrôler totalement les frontières pour éviter les trafics illégaux. Les axes principaux doivent être sécurisés, il y a souvent des sabotages. Une autre chose très importante, c'est que ceux qui ont commis des crimes de guerre et des crimes contre l'humanité en 1999 soient être arrêtés et condamnés. Tous les chefs militaires qui ont commis des crimes de guerre doivent être jugés par des cours locales. Les autres, les gens ordinaires devraient être amnistiés, un peu sur le modèle de l'Afrique du sud. /.../ Il doit y avoir une combinaison de ces deux choses. Je pense que 5 ou 6 personnes doivent être écartées, parmi les principaux responsables.

Et le Tribunal de La Haye ?

Je pense que c'est un tribunal politique, il est possible que je me trompe, mais je pense que ce Tribunal est sous pression politique. C'est important pour notre situation locale. Mais qui est supposé arrêter ces criminels de guerre ? Depuis le 17 mars, il y a des gens qui pensent différemment, qui pensent qu'il faut le faire, que ce sera difficile, mais que c'est nécessaire. Je pense qu'après les élections certaines personnes vont être arrêtées.

Au sujet de la situation économique, de l'accès au travail

La situation est extrêmement difficile, maintenant nous avons même des restrictions d'eau. Depuis cinq ans, nous n'avons jamais eu ça, même pendant la guerre nous avions de l'eau. Il y a une mauvaise gestion, il y a des infrastructures endommagées, et des municipalités albanaises ont été ajoutées à notre réseau et nous avons moins d'eau. Pour l'électricité, depuis cinq ans, la centrale d'Obilic a reçu 500 millions d'euros pour sa remise en état, et elle ne produit que 25 à 30% de sa capacité. Ils disent que les installations sont trop vielles, ce qui est totalement faux. Pendant les bombardements, nous avions une meilleure production que maintenant ! De 1995 à 1998, la direction serbe avait dépensé 18 millions de dollars pour le fonctionnement de la centrale qui produisaient de 600 à 700 MW alors que depuis 5 ans, avec 130 millions de dollars, elle produit moins de 200 MW… /../

Nos conseils ne sont absolument pas pris en considération. J'ai rencontré une délégation de l'ancienne direction serbe qui a gardé des connexions avec les Albanais. Ils ont constaté de très nombreuses erreurs dans le processus de production et dans la gestion. Une des principales erreurs concerne le maintien de la puissance qui n'est pas de la responsabilité des employés compétents sur les questions de puissance. Même pendant la guerre en Bosnie, il y avait beaucoup de travailleurs musulmans de Zenica (Bosnie) qui travaillaient à la centrale. Maintenant, ils cherchent du travail à l'étranger. /.../

Nous n'avons absolument pas accès au travail qui est réservé aux Albanais, les Serbes sont exclus de tous les emplois publics. Dans le nord, il est possible de trouver du travail, la situation est sous notre contrôle. /.../ Il y a une centaine de Serbes qui travaillent à ( la mine de) Trepca qui n'est plus en fonction, ils reçoivent un dédommagement de 30 à 40 euros. C'est du travail de recyclage, la mine est fermée.

Comment survivent les gens sans travail, est-ce qu'ils reçoivent de l'aide ?

Pour ceux qui trouvent un emploi, les salaires sont de 100 à 130 euros. /.../

Les pensions sont versées par Belgrade. De Pristina, les personnes âgées de plus de 65 ans touchent 30 euros par mois. Les retraites de Serbie dépendent du salaire, c'est environ 60 à 70% du dernier salaire.

Propos traduits (de l'anglais) et transcrits par Philippe Scheller

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