Le cri d’alerte du CICR au Yemen
Source : BRUXELLES2
propos recueillis par Johanna Bouquet
17 juin 2015

Le Yémen constitue un peu un « trou noir » dans l'actualité européenne, chargée du moment. Cependant nous sommes à un moment clé. Des négociations ont été entamé à Genève, lundi (15 juin), sous l'égide de l'ONU, entre les différentes parties au conflit. Mais le conflit continue. La coalition menée par l'Arabie saoudite a ainsi continué de bombarder la capitale yéménite. B2 a pu rencontré, lors de son passage à Bruxelles, la semaine dernière, Cédric Schweizer. À la tête de la délégation CICR au Yémen, il a dressé un bilan sans fard de la situation humanitaire, complexe, sur le terrain.

Comment qualifiez-vous la situation sur le terrain ? Quelles sont vos inquiétudes ? 

C'est un conflit. On est très proche d'une catastrophe humanitaire. Si des décisions immédiates ne sont pas prises, on va se retrouver avec des milliers de personnes à risque. Les populations n'ont pas accès à l'eau ni à la nourriture. 90% de la nourriture est importée. Il y a encore des stocks de nourriture. Mais les prix ont quintuplé. Et les gens n'ont plus de revenus donc ils n'ont plus accès, de fait, à cette nourriture. Le système d'approvisionnement doit fonctionner et on doit rouvrir les frontières. Si ces accès ne sont pas rouverts dans quelques semaines, des milliers de personnes vont mourir.

L'intervention militaire de la coalition menée par l'Arabie saoudite est-il une solution ou cela complique la donne ?

Cela a plutôt compliqué les choses et déstabilisé un peu plus le pays. Le Yémen a toujours été un pays qui, au bord du gouffre, a toujours trouvé des solutions pour ne pas tomber dans une situation chaotique. Aujourd'hui, avec cette nouvelle couche de conflit, on a l'impression que la société est bien ébranlée. Je le vois par exemple avec nos collègues yéménites : ils ont toujours été très résistants aux violences. Maintenant, ils sont arrivés à saturation. Ils ont de moins en moins d'espoir dans l'avenir. Ce n'est pas seulement l'action de la coalition, c'est tout ce que cela déstabilise le pays. Des groupes plus extrêmes commencent à prendre de plus en plus de pouvoir et de présence. Les antagonismes sont de plus en plus importants au sein du pays. Même le plus optimiste ne peut pas imaginer que son pays sera demain dans la paix et qu'il n'y aura plus de violence. Le processus de paix, si il y en a un, va prendre énormément de temps. Et, entre les deux, la violence va prendre de plus en plus de place et sera plus importante.

Vous terminez votre mission au Yemen, quels sont les défis qui attendent vos successeurs face à la situation du pays ? 

Le défi, c'est le Yémen de demain. Même si l'opération de la coalition se termine, nous sommes face à une situation sécuritaire beaucoup plus compliquée qu'avant. Le pays est très déstabilisé. Il y a des groupes comme Al Qaida ou ISIS qui commencent à faire parler d'eux.  Il va y avoir un réel risque pour la communauté humanitaire d'être acceptée. On va voir des conséquences et des besoins humanitaires énormes et, en même temps, des défis de volatilité qui ne vont pas permettre à ces organisations de se rendre sur les zones les plus risquées. L'équilibre est toujours complexe à trouver entre la valeur ajoutée d'une présence humanitaire et les risques pris. Aujourd'hui, on va continuer parce qu'on a cette acceptation privilégiée. Mais d'autres organisations n'ont peut être pas ces privilèges. Et cela va être très compliqué pour l'aide humanitaire.