Sommes-nous vraiment en Afghanistan pour construire des écoles ?
Roland Marounek
5 avril 2010

Plus de huit ans après l'invasion de l'Afghanistan, un timide débat commence enfin à poindre en Belgique, avec des partis de l'opposition réclamant désormais ouvertement le retrait des troupes.

De fait, la perception que cette guerre est déjà perdue se répand, et l'acharnement militaire de l'Otan et des USA, les réclamations de toujours plus de troupes, laissent perplexes un nombre de plus en plus grand de personnes douées de raison, ou simplement de mémoire. D'autre part, le fossé entre la réalité et le discours officiel, que ce soit en matière de lutte contre la drogue, de développement, ou de démocratie, ce fossé devient très voyant. Enfin la stratégie de l'administration Obama, qui consiste à tenter d'associer au pouvoir des chefs Taliban "modérés" (c'est-à-dire les plus corruptibles d'entre eux), a de quoi dérouter plus d'une bonne conscience ; l'un des arguments majeurs en faveur de la participation à la guerre se dérobe sous eux.

Ces thèmes et bien d'autres sont revenus le 12 février dernier lors du débat qui clôturait la tournée contre la guerre en Afghanistan organisée par la Plate-forme contre la guerre (voir compte-rendu page 6). A cette occasion, tous les participants se sont clairement prononcés pour un départ des troupes étrangères, départ immédiat pour l'ancien coordinateur des Nations Unies au Pakistan, "aussi vite que possible" pour la représentante d'Ecolo (opposition), et avec certains aménagements pour le représentant du PS (majorité).

On peut certainement se réjouir que des politiques se rallient à ce que nous répétons depuis quelques années déjà. Cependant il n'est pas très certain que nous partageons complètement l'analyse sur ce conflit.

Les trois participants belges ont chacun à leur manière exprimé que 'nous' (les Occidentaux) n'avons pas réussi à aider le peuple Afghan, en raison de facteurs divers : On n'a pas donné suffisamment pour la reconstruction, l’argent des projets a été détourné, les militaires n'étaient pas bien formés pour comprendre la culture afghane, on n'a rien compris aux traditions et aux relations ethniques, les Américains ont cru de bonne foi qu'ils pouvaient imposer par la force la démocratie et leurs valeurs, etc., etc. La bonne volonté et le désir, le besoin de venir en aide aux populations afghanes n'est pas un seul instant à mettre en question bien sûr, mais la façon de faire a été pour le moins inefficace.

Une telle façon de voir les choses n'aide pas à prévenir les prochaines guerres. Va-t-on utiliser ce qu'on considère être des erreurs pour mieux faire la prochaine fois, avec les même bonnes intentions de venir en aide aux populations iraniennes, ou soudanaises, de venir au secours de la démocratie, de la liberté, du droits des femmes, …. ? Est-ce que l'invasion aurait été plus légitime si nos soldats avaient été tout à fait bien formés à la culture afghane ? Les bases militaires US auraient-elles donc été légitimées par la construction d'écoles ?

Le si bon Occident a fait passer l'Irak en douze ans d'embargo atroce, d'un pays relativement développé en un pays détruit, parmi les plus pauvres, au prix de millions de morts "qui en valaient la peine", comme disait la douce Mme Albright. L'Occident tellement rempli de bonne volonté, a, en Afghanistan, armé et financé lourdement des bandits et des chefs de guerres obscurantistes pendant plus d’une décennie, détruisant tout espoir de construction d'un pays moderne et développé. Quelle légitimité ont les pays de l'Otan à prétendre venir aujourd'hui apporter une aide quelconque dans cette région ? Tant qu'on ne prend pas enfin conscience de cela, tant qu'on ne réalise pas que la présence des USA et de l'Otan en Afghanistan a des objectifs géostratégiques précis, et non le droit des femmes ou la démocratie, alors on est prêt à recommencer le soutien même 'critique', ou passif, à des interventions "pour aller aider des populations" de pays qui sont, par une coïncidence heureuse, également visés par des intérêts économiques ou militaires.

Un élément essentiel pour arriver à faire accepter la guerre, est la bonne préparation de l'opinion publique. Et l'humanitaire, est aujourd'hui comme hier, utilisé pour retourner des populations a priori réticentes aux expéditions militaires. Il est désolant de constater que ceux qui se trouvent à présent à nos côtés pour réclamer le départ des troupes d'Afghanistan, sont dans le même temps, en train de relayer ce genre de campagnes préparatrices contre l'Iran ou le Soudan.

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