COP26 : l’Inde termine comme bouc émissaire
Source : INDIAN PUNCHLINE
M K Bhadrakumar
16 novembre 2021

Greta Thurnberg, la fameuse militante suédoise de la lutte contre le changement climatique, a résumé que l’accord conclu lors de la COP26 à Glasgow samedi était « très, très vague » avec plusieurs failles. Elle a déclaré aux médias à Glasgow que le pacte n’avait « réussi qu’à édulcorer le bla-bla-bla ».

« Il n’y a toujours aucune garantie que nous parviendrons à l’accord de Paris. Le texte tel qu’il est maintenant, en tant que document, vous pouvez l’interpréter de beaucoup, beaucoup de façons différentes. Nous pouvons toujours développer les infrastructures de combustibles fossiles, nous pouvons toujours augmenter les émissions mondiales. C’est très, très vague », a déclaré Thurnberg.

Les délégués présents à Glasgow n’ont pas réussi à dégager davantage de moyens financiers ni même de nouvelles lignes directrices pour soutenir le passage progressif des économies en développement aux énergies renouvelables, connu sous le nom de « transition juste ». Parmi les délégués des pays en développement, beaucoup ont déclaré que la COP26 avait laissé tomber les pays les plus touchés par le changement climatique aujourd’hui : les petits états insulaires et les zones d’Afrique les plus durement touchées par des conditions météorologiques extrêmes, comme le Sahel et la Corne.

Les manques et les ambiguïtés concernant le financement du climat ont été les plus frappants. Les contributions des pays du G20 au fonds de 100 milliards de dollars US destiné à aider les économies en développement à s’adapter et à atténuer les effets du climat devraient atteindre l’objectif initial d’ici 2023. Les délégations européennes et nord-américaines ont résisté aux appels à la création immédiate d’un fonds destiné à indemniser les pays subissant des pertes et des dommages causés par le changement climatique. Elles ont plutôt proposé des discussions sur la structure et le mécanisme d’un tel fonds.

Mais in extremis les hôtes britanniques ont fait quelque chose de malin, en créant le récit que la COP26 aurait été super, si la Chine et l’Inde n’avaient pas imposé à la dernière minute de modifier le consensus, pour  mettre "réduire progressivement" l’utilisation du charbon, à la place de "éliminer progressivement".

En réalité, l’UE, les États-Unis et le Royaume-Uni s'étaient mis d’accord et avaient présenté au reste du monde la nouvelle formulation de l’élimination progressive de l’énergie au charbon comme un fait accompli, ce qui a bien sûr mis l’Inde et la Chine au pied du mur, sous les yeux du monde entier. Cela a déclenché la fureur des pays pauvres et des militants pour le climat, poussés par le Royaume-Uni à croire qu’une petite cabale de puissants pollueurs – l’Inde et la Chine – tenait le monde en otage.

L’Inde, en particulier, a été critiquée et désignée comme bouc émissaire. Le plan de match consiste à faire pression sur l’Inde et la Chine pour qu’elles reviennent et s’engagent à réduire davantage leurs émissions d’ici la réunion des Nations unies de l’année prochaine. Ni la Chine ni l’Inde n’ont d’objectifs pour 2030 qui soient proches d’une trajectoire de 1,5 degré centigrade, et seront donc sur la liste des nations sous pression pour revenir l’année prochaine avec plus d’ambition. Le Royaume-Uni assure encore la présidence de la COP pour une année supplémentaire, et Alok Sharma restera donc un acteur diplomatique clé.

Le Premier ministre britannique Boris Johnson a ensuite pris le devant de la scène pour se vanter devant la Chambre des communes que la COP26 « a donné tort aux sceptiques et aux cyniques » et que, pendant des décennies, s’attaquer au problème du charbon « s’est avéré aussi difficile que de manger l’éléphant du proverbe» (une référence métaphorique sournoise à l’Inde), mais qu’à Glasgow, le monde « a pris la première bouchée ».

M. Johnson devait s’adresser à des chefs d’entreprise et à des diplomates lors du banquet du Lord Mayor à Londres lundi soir : « J’observe la politique depuis longtemps maintenant et je sais quand un point de basculement est atteint. Les mots ont leur importance mais, que l’on parle de réduction ou d’élimination progressive, le jour n’est plus très loin où il sera aussi politiquement inacceptable, partout dans le monde, d’ouvrir une nouvelle centrale électrique au charbon que de monter dans un avion et d’allumer un cigare. »

C’est du chantage dans le style Johnson – la traque aux concurrents. Le fameux populiste sait parfaitement que la Chine et l’Inde sont toutes deux fortement dépendantes de l’énergie du charbon. Leurs dirigeants sont tout à fait conscients du rôle que joue l’industrie du charbon pour sortir de la pauvreté les citoyens les plus pauvres de ces deux pays. La politique intérieure de l’élimination progressive du charbon est très sensible pour les deux pays, en particulier au milieu d’une crise énergétique et pandémique mondiale .

L’aspect le plus sinistre de l’agitation et du chantage de Johnson est que lui ou ses semblables dans l’Ouest industriel riche n’ont rien fait pour offrir le soutien pratique et financier dont les pays en développement peuvent avoir besoin pour la transition.

La plus grande des ironies est que l’Inde et la Chine sont allées à Glasgow avec de bonnes intentions. L’annonce par l’Inde de l’objectif « zéro émission nette en 2070 » a fait les gros titres et, plus important encore, la promesse du Premier ministre Modi de fixer l’objectif de 2030 pour que 50 % de l’énergie indienne provienne de sources renouvelables.

Avant Glasgow, le Président chinois Xi Jinping a également pris une série d’engagements importants : la Chine atteindra le niveau zéro d’émissions nettes d’ici 2060, la production de charbon atteindra son maximum d’ici 2026 et la Chine cessera de financer la construction de centrales au charbon à l’étranger.

Malgré ces avancées significatives, l’Inde et la Chine sont salies et intimidées. La BBC est allée jusqu’à demander au Ministre pakistanais de l’énergie, présent à la COP26, de médire de l’Inde, ce à quoi ce dernier s’est bien sûr prêté avec joie en utilisant la puissante métaphore d’un malade du cancer sous chimiothérapie qui veut encore fumer un paquet de cigarettes.

Le pauvre type ne savait pas que même les Européens et les Nord-Américains fument à la chaîne. Bloomberg a rapporté ce week-end, citant des dirigeants de mines de charbon, que le combustible qu’ils produisent est loin d’être relégué aux oubliettes de l’histoire, et « qu’il faudra deux à trois décennies avant que la place du charbon dans l’espace énergétique ne change radicalement ».

Le rapport de Bloomberg indique que la demande reste robuste en Asie et qu’elle a également augmenté en Europe et en Amérique du Nord cet hiver, les prix du charbon américain ayant atteint lundi leur plus haut niveau depuis plus de 12 ans.

D’ailleurs, le gouvernement japonais et le secteur de l’électricité sont eux aussi soulagés de voir que le pacte climatique de la COP26 invite les pays à « réduire progressivement », et non à « supprimer progressivement », l’utilisation des centrales thermiques au charbon pour réduire les émissions de gaz à effet de serre. Le Japon prévoit de continuer à utiliser l’énergie thermique au charbon (qui représente environ 30 % de sa source d’électricité) tout en essayant de réduire sa dépendance au charbon et de suspendre ou de supprimer les centrales électriques à faible rendement.

Le bon côté de tout cela, c’est qu’il s’agit d’un signal d’alarme pour le gouvernement Modi, qui a été naïf de tomber dans la flatterie occidentale et de commencer à imaginer que la 'Global Britain' de Johnson serait le partenaire clé de l’Inde dans l’Indo-Pacifique. Pour l’Inde, une relation d'égal à égal avec la Grande-Bretagne ne sera jamais possible. La mentalité rusée des Britanniques a fait surface à Glasgow. L’Inde ne doit pas se faire d’illusions sur des personnages fourbes comme Johnson.

De même, il est crucial, au stade actuel du développement de l’Inde, qu’elle ait un engagement sélectif avec la Chine, au moins sur des questions profondes d’intérêt commun comme le changement climatique. Une hostilité à tout niveau des gouvernements n’est ni justifiée ni acceptable pour un pays mature.

La COP26 a mis en évidence le fait que lorsqu’il s’agit de création/transfert de richesses, les enjeux sont élevés et que l’Occident protège collectivement ses intérêts et n’hésitera pas à exploiter les divisions entre les pays en développement. L’événement qui s’est déroulé pendant quinze jours à Glasgow est un rappel brutal que l’histoire n’est pas terminée.

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